— Vous êtes un menteur ! Vous êtes le dieu des Morts ! Vous pouvez changer son destin !
— Lord Hadès a beau être le dieu des Morts, il n’est pas celui qui a tissé votre destin, dit Perséphone. N’ayez crainte, et soyez courageux pour votre fille. Votre vie ici sera paisible.
Hadès la regarda s’accroupir devant la fillette.
— Coucou. Je m’appelle Perséphone. Tu t’appelles comment ?
La fillette était timide, mais elle sourit à Perséphone avant de répondre.
— Lola.
— Lola, je suis contente que tu sois ici, et ton père aussi. Vous avez de la chance d’être ensemble. Tu veux voir de la magie ?
La fillette hocha la tête et Hadès sentit la magie de Perséphone surgir. Elle fit appara?tre une anémone blanche, qu’elle mit dans les cheveux de Lola.
— Tu es très courageuse, dit-elle. Peux-tu être courageuse pour ton papa aussi ?
Lola hocha à nouveau la tête et rejoignit son père pour lui prendre la main. Il parut se calmer.
Les ?mes continuèrent d’arriver et malgré leur nombre important, le dévouement de Perséphone à accueillir chacune avec la même gentillesse et le même enthousiasme ne fléchit jamais. Hadès s’émerveilla de la voir aussi à l’aise alors qu’elle avait semblé anéantie quand elle l’avait informé de l’accident. Une part de lui savait qu’elle restait perturbée par la catastrophe et que cela la changerait à jamais, mais elle ne laissa pas sa détresse transpara?tre, se comportant simplement comme une reine.
Il lui prit la main quand les grilles s’ouvrirent et il l’invita à avancer.
— Bienvenue aux Enfers, dit-il.
Ils précédèrent les ?mes et, sous l’Arbre des Rêves, tout ce qu’elles avaient espéré et rêvé pour leur vie, là-haut, fut retiré de leur esprit.
— Vois cela comme une libération, dit-il en serrant la main de Perséphone. Ils ne seront plus accablés de regrets.
Ils seront heureux.
Au-delà de l’arbre s’étendaient les berges verdoyantes du Styx et, dans sa barque, Charon les attendait, tel un phare sur les eaux noires.
Il sourit alors qu’ils approchaient.
— Bienvenue, soyez les bienvenus ! dit-il. Venez, je vais vous emmener chez vous, dit-il.
Il avan?a dans la foule, choisissant les ?mes qui monteraient les premières. Il s’arrêta à seulement cinq.
— Pas plus, dit-il. Je reviendrai.
Perséphone se tourna vers Hadès d’un air confus.
— Pourquoi il n’en a pas pris d’autres ?
— Tu te souviens que j’ai dit que les ?mes empruntaient ce chemin afin d’accepter leur mort ? Charon ne les prendra pas dans sa barque tant que ce ne sera pas le cas.
— Et s’ils ne l’acceptent jamais ?
— La plupart y parviennent.
— Et les autres ? insista-t-elle.
— C’est du cas par cas, expliqua-t-il. Certains sont autorisés à voir comment vivent les ?mes à Asphodèle. Si ?a ne les aide toujours pas à accepter leur mort, ils sont envoyés aux Champs ?lysées. D’autres doivent boire l’eau du Léthé.
— Et ?a arrive souvent ?
— C’est rare. Mais inévitablement, par des temps comme ceux-ci, il y en a toujours qui peinent à entrer dans l’au-delà.
Comme le père de Lola, qui restait planté sur les berges du fleuve.
— Lola, dit Charon en lui tendant la main. Il est l’heure.
— Non ! cria le père en s’agenouillant pour prendre sa fille dans les bras. Elle n’ira pas seule. Elle ne le peut pas.
— Elle le peut, dit Charon. C’est vous qui n’en êtes pas capable.
— On part ensemble ou on ne part pas du tout !
— De quoi avez-vous peur ? demanda Perséphone.
L’homme la regarda dans les yeux, presque réconforté par sa présence.
— J’ai laissé ma femme et mon fils dans le royaume des vivants.
— Et ne pensez-vous pas, après tout ce que vous avez vu ici, que vous les reverrez un jour ?
— Mais…
— Votre femme sera soulagée de savoir que vous êtes avec Lola et elle attendra de vous rejoindre ici, aux Enfers. ? Asphodèle. Ne souhaitez-vous pas leur préparer une place ? Les accueillir quand ils arriveront ?
Les paroles de Perséphone firent frissonner Hadès. Durant toutes ses années en tant que dieu des Enfers, jamais il n’avait convaincu une ?me d’entrer à Asphodèle de cette manière, douce, pleine de compassion et attentionnée. C’était précisément pour ?a qu’il l’aimait.
L’homme se mit à pleurer, incapable de s’arrêter.
Charon et Hadès échangèrent un regard, mais Perséphone attendit patiemment qu’il ait fini et qu’il annonce qu’il était prêt.
Charon sourit.
— Dans ce cas, bienvenue aux Enfers, déclara-t-il en les aidant à monter dans la barque.
Hadès et Perséphone se joignirent à eux.
Perséphone avait déjà fait ce trajet quand elle s’était promenée aux Enfers et était tombée dans le Styx, mais il présumait que c’était bien plus agréable, cette fois, puisqu’elle était en sécurité dans la barque de Charon, où les ?mes qui nageaient sous la surface ne pouvaient pas l’atteindre.
Le souvenir lui procura un malaise certain.
Cela s’était produit lors de sa première visite aux Enfers. C’était la première fois qu’il s’était senti responsable d’elle, surtout quand il avait découvert qu’elle avait été blessée. C’était également la première fois qu’elle avait rencontré Hermès, même si ce n’était pas la première fois qu’Hadès avait jeté le dieu de la Ruse à l’autre bout de son royaume.
Il avait l’impression que c’était il y a plusieurs années.
Perséphone le regarda et lui sourit tendrement.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle.
— Rien. Je pense seulement à combien tu es belle.
Belle à bien des égards.
Elle haussa les sourcils, comme si elle était curieuse ou suspicieuse de ses pensées, mais alors qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose, elle fut interrompue par Lola.
— Regardez !
Perséphone tourna la tête vers le ponton, où les autres ?mes les attendaient ; la déesse regardait ailleurs, mais Hadès ne la quittait pas des yeux.
Yuri et Ian aidèrent Lola et son père à monter sur le ponton, accueillis par les autres ?mes d’Asphodèle avec de la musique et de la nourriture, prêtes à les escorter au Pré du Jugement.
Le rire chaleureux de Charon attira l’attention d’Hadès.
— Ce qui est s?r, c’est qu’ils n’oublieront jamais leur arrivée aux Enfers, dit-il.
— Tu penses que ?a éclipsera leur mort soudaine ? lui demanda Perséphone.
Charon lui sourit.
— Je pense que tes Enfers compenseront largement leur peine, Milady, répondit-il en esquissant une révérence avant de remonter dans sa barque pour retraverser le Styx.
— Est-ce qu’une mort reste celle qui a été tissée par les Moires quand elle est provoquée par un autre dieu ? demanda Perséphone.