Ilias et Zofie avaient emmené la femme à L’Iniquité, où elle était assise sous un faisceau de lumière jaune, maintenue en place par des serpents venimeux. Malgré la haine qu’elle dégageait, elle restait immobile comme une pierre, craignant trop une morsure et une mort imminente.
Hadès se demanda ce qui l’avait poussée à se croire capable d’attaquer sa ma?tresse.
Bien qu’il ait très envie de prendre les rênes de cette entrevue, il comprenait que ce n’était pas à lui d’en avoir le contr?le, et il laissa Perséphone mener la danse, ce qu’elle fit sans peur, s’approchant au bord du cercle lumineux.
— Je n’ai pas besoin de te dire pourquoi tu es ici, dit-elle.
— Tu vas me tuer ? demanda la femme.
— Je ne suis pas la déesse de la Vengeance, dit Perséphone.
— Tu n’as pas répondu à ma question.
— Ce n’est pas moi qui suis interrogée.
La bouche de la femme se pin?a.
— Comment tu t’appelles ?
— Lara, répondit-elle en haussant le menton.
— Lara, pourquoi m’as-tu agressée au Coffee House ?
— Parce que tu étais là. Et je voulais que tu aies mal.
Hadès serra les poings. C’était elle qu’il voulait voir souffrir.
— Pourquoi ? lan?a-t-il.
Peu importait la raison, le fait qu’elle s’en soit prise à Perséphone suffisait. Les serpents réagirent à la colère d’Hadès, sifflant violemment en levant la tête pour montrer leurs crochets. Lara ferma les yeux et se prépara à être mordue.
— Pas encore ! lan?a Perséphone, et les serpents s’immobilisèrent.
La femme rouvrit les yeux et croisa le regard de Perséphone. La déesse reprit :
— Je t’ai posé une question.
Il y eut un silence, puis la femme craqua.
— Parce que tu représentes tout ce qui va mal dans ce monde, sanglota-t-elle. Tu prétends défendre la justice parce que tu as écrit une critique dans un journal, mais tes mots sont creux ! Tes actes sont bien plus parlants. Comme tant d’autres, tu es tombée dans leur piège. Tu n’es qu’un mouton qui obéit bêtement au Charme olympien.
Cette femme avait été blessée par un dieu. Hadès le savait, tout comme Perséphone.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda la déesse.
— J’ai été violée, siffla-t-elle à voix basse. Par Zeus.
Hadès aurait aimé dire qu’il était choqué par sa réponse, mais le fait qu’il ne l’était pas le dégo?ta de lui-même. Ses frères incarnaient ce r?le depuis longtemps, utilisant leur pouvoir pour contraindre les femmes à faire ce qu’ils voulaient. Et s’ils avaient affronté des conséquences, ce n’était rien à c?té de ce qu’ils méritaient : l’emprisonnement et la torture au Tartare.
Hadès avait juré qu’il s’en chargerait, mais la victoire était un chemin long et difficile qui était également parsemé de victimes.
— Je suis désolée que ?a te soit arrivé, dit Perséphone en faisant un pas en avant.
Hadès renvoya ses serpents.
— Arrête, cracha la jeune femme. Je ne veux pas de ta pitié.
— Je ne t’offre pas ma pitié, répondit-elle. Mais j’aimerais t’aider.
— Comment tu pourrais m’aider ? siffla-t-elle.
Hadès n’était même pas certain qu’ils le puissent. Sa haine était profondément enracinée en elle, et personne ne pouvait lui en vouloir.
— Je sais que tu n’as rien fait pour mériter ce qui t’est arrivé, commen?a Perséphone, mais Lara secouait déjà la tête.
— Tes mots ne valent rien quand les dieux continuent de faire le mal.
— Comment tu punirais Zeus ? demanda Hadès.
Perséphone et Lara le regardèrent, surprises, mais il attendit qu’elle réponde.
— Je lui arracherais un membre après l’autre et je br?lerais ce qui reste. Je briserais son ?me en des millions de morceaux pour qu’il ne reste plus que le chuchotement de ses cris dans le vent.
— Et tu crois que, toi, tu peux apporter cette justice ? demanda Hadès.
Elle savait qu’elle n’était pas capable d’une telle vengeance, donc elle devait avoir quelqu’un en tête pour la mener.
— Pas moi. Des dieux, dit-elle. De nouveaux dieux. Ce sera une renaissance, chuchota-t-elle.
De nouveaux dieux. Renaissance.
C’étaient les mots que les agresseurs d’Harmonie avaient employés.
— Non, dit Hadès, ce sera un massacre, poursuivit-il. Et ce n’est pas nous qui mourrons. C’est vous.
— Ce qui t’est arrivé est terrible, dit Perséphone. Et tu as raison de dire que Zeus devrait être puni. Est-ce que tu ne peux pas nous laisser t’aider ?
— Il n’y a aucun espoir pour moi.
— Il y a toujours de l’espoir, dit Perséphone. C’est tout ce qu’on a.
Hadès regarda Perséphone.
— Ilias, emmène Mademoiselle Sotir au Bosquet de Cigu?. Elle y sera en sécurité.
La jeune femme se crispa.
— Alors vous allez m’emprisonner ?
— Non, répondit-il. Le Bosquet de Cigu? est un refuge. La déesse Hécate y accueille les femmes et les enfants victimes d’abus. Si tu le souhaites, elle écoutera ton histoire. Après ?a, tu pourras faire ce que tu veux.
Hadès serra la main de Perséphone et la ramena aux Enfers.
Chapitre XX
Hadès
Hadès accompagna Perséphone à la Tour Alexandria, ce qui fut plus difficile qu’il ne le pensait après la nuit qu’ils avaient passée. La fatigue de Perséphone était évidente et si Hadès était habitué à ne pas dormir, même lui se sentait vidé.
Il retourna aux Enfers et partit à la recherche d’Hécate, qu’il trouva dans son chalet.
— C’est du sang ? demanda-t-il en voyant le bocal posé au milieu de la table.
— Oui, répondit-elle simplement. Tu le veux ?
— Je n’ai absolument pas envie d’un bocal de sang, Hécate.
— C’est celui de ton frère, dit-elle d’un ton séducteur.
— Mon frère ?
— Après sa castration.
— Je vois que le récit de Lara t’a remplie de rage, dit-il.
— Ce devrait être ton cas aussi, répondit-elle.
?a l’était. La seule chose qu’il avait du mal à pardonner était le geste de la jeune femme sur Perséphone.
Hadès prit le bocal pour l’inspecter de plus près, remarquant deux testicules fripés flottant dans le liquide.
— Hécate, dit Hadès en reposant le bocal. Que vas-tu en faire ?
— Je vais les garder, dit-elle.
Elle lui tournait le dos tout en remplissant de petits sachets d’herbes pour faire du thé.
— Comme un trophée ? s’enquit Hadès.
— Tu connais les dangers que représente le sang divin.
— Il y a plus que du sang dans ce bocal, Hécate.
— J’en suis consciente, dit-elle en se tournant vers lui. Ils sont tout aussi dangereux, qu’ils soient attachés à son corps ou non.
Hadès en connaissait les dangers. Le sang d’un dieu était également appelé ichor, et c’était du poison pour les mortels. Si une goutte tombait sur terre, il avait le potentiel de créer d’autres créatures et même des herbes divines. En fait, les possibilités étaient infinies et inconnues.
Les testicules avaient le même pouvoir, même s’ils donnaient souvent naissance à des dieux et des déesses.
— Tiens, dit la déesse en lui tendant des sachets de thé.
Hadès les scruta avant de les porter à son nez pour les renifler.
— Qu’est-ce que c’est ?
— ?a devrait vous aider à dormir, Perséphone et toi.
Hadès fron?a les sourcils et les posa sur la table.