— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Hécate.
— Rien, dit-il en mettant ses mains dans ses poches.
— Oh, ne joue pas à ?a avec moi, rétorqua-t-elle. Dis-moi ce qui vient de traverser ta petite tête.
Hadès étudia Hécate en plissant les yeux, haussant un sourcil. Le poids des cauchemars de Perséphone était trop lourd.
— Je me suis inquiété à propos de son sommeil, alors que j’aurais d? m’inquiéter de ses cauchemars, dit-il. Je ne sais pas quoi faire d’autre pour l’aider. Pirithoos la hante, et il n’y a ni schéma répétitif ni régularité. Certaines nuits, elle me réveille. D’autres nuits, je redoute de dormir, de peur de ne pas pouvoir l’aider. Mais hier soir, j’ai essayé, et…
Il ne termina pas sa phrase, déglutissant avec difficulté, incapable de continuer.
— Tu ne peux pas l’aider à affronter un cauchemar, Hadès, dit Hécate d’une voix douce.
Il grin?a des dents.
— Elle ne devrait même pas avoir à affronter ?a. Elle aurait d? être en sécurité au travail.
— Je suis d’accord. Mais tel est le monde des femmes dans une société dominée par les hommes, même pour celles d’entre nous qui ont de grands pouvoirs.
— ?a doit cesser.
C’était tout ce qu’il pouvait dire.
— Comme tout dans ce monde, dit-elle avant de prendre le thé pour le lui redonner. Peut-être que tu devrais parler à Hypnos au sujet de Perséphone.
Hadès se crispa.
— Hypnos est un enfoiré.
Il n’était en rien comme Thanatos, son frère.
— C’est un enfoiré avec toi.
— Il est gentil avec toi seulement parce que tu lui apportes des champignons, dit Hadès.
Hécate croisa les bras et haussa le menton.
— Ne critique pas mes méthodes. Au moins, j’obtiens ce que je veux.
Hadès fron?a les sourcils.
— Et que veux-tu d’Hypnos ?
— L’usage des Oneiroi, bien s?r.
Les Oneiroi étaient des daemons ailés qui envahissaient parfois les rêves. Si Hécate demandait à les utiliser, c’était sans doute pour hanter quelques pauvres ?mes.
Hadès venait de se servir d’Hermès pour la même raison.
— Si tu souhaites aider Perséphone, ?a vaut la peine de rendre visite à Hypnos, dit la déesse. Mais n’y va pas sans un cadeau.
Hadès soupira et se pin?a le nez. C’était ridicule, putain. Hypnos vivait dans son royaume. Ce devait être plus que suffisant.
— ?a le serait s’il aimait vivre ici, dit Hécate.
?a, Hadès n’y était pour rien. Hypnos était l’un de ceux qui avaient accepté d’aider Héra à endormir Zeus, la dernière fois qu’elle avait voulu le renverser, et c’était pour cela qu’il s’était retrouvé à résider aux Enfers.
— Ne fais pas le difficile, dit Hécate. Pense à Perséphone.
— Je pense toujours à Perséphone.
— Alors arrête de bouder et trouve un cadeau pour le dieu du Sommeil.
Hadès leva les yeux au ciel en soupirant.
— Très bien. Je vais lui trouver un fichu cadeau.
Hécate sourit.
— C’est bien, bravo.
Hadès ne l’honora même pas d’un regard foudroyant avant de dispara?tre.
*
* *
Hadès observait la ville gelée par la fenêtre de son bureau à L’Iniquité. La neige tombait si lourdement que la ville était à peine visible. Il en était venu à accepter l’appréhension qu’il ressentait chaque fois qu’il venait au royaume des vivants et qu’il voyait les progrès de la tempête. Mais cette journée était différente. Quelque chose clochait. Il le sentait dans l’air autour de lui, comme une tragédie imminente. Ce n’était pas la première fois qu’il avait un tel sentiment, et c’est d’ailleurs ce qui l’inquiétait le plus. Il étudiait ce monde devenu le champ de bataille de Déméter. Une chose terrible se préparait.
— Hadès ?
Il se tourna vers Ilias, qui était entré dans son bureau sans qu’il l’aper?oive, ce qui était tout aussi déroutant. Il était rarement distrait à ce point. Cela parut déranger Ilias autant que lui, car il avait l’air inquiet.
— Est-ce que ?a va ?
Hadès ne répondit pas, préférant changer de sujet.
— Qu’as-tu trouvé sur Lara Sotir ?
Elle avait beau prétendre n’avoir aucun lien avec la Triade ni aucune autre association anti-dieux, Hadès n’était pas certain de la croire. De nouveaux dieux. Renaissance. Lemming.
C’étaient les mots que les agresseurs d’Harmonie avaient employés. Un tel langage commun ne pouvait pas être une co?ncidence. Il les soup?onnait de faire partie du même groupe, ou au minimum de consommer la même propagande. Quoi qu’il en soit, leur but était clair : renverser les dieux qui régnaient.
Ce n’était pas inhabituel que des mortels ou d’autres dieux complotent contre les Olympiens, mais cette fois semblait différente. Le monde paraissait chaotique et instable. Avec la tempête surnaturelle de Déméter, les attaques violentes sur les Favoris et le Divin avec des armes qui pouvaient réellement les blesser, et l’Ophiotauros tueur de dieux en liberté, Hadès s’inquiétait de ce qui viendrait ensuite. La mort, assurément, mais il y avait pire que ?a.
Ilias tendit à Hadès un dossier contenant une photo de Lara Sotir et un homme marchant c?te à c?te dans une rue de Nouvelle Athènes. Un autre cliché les montrait en train d’entrer dans un h?tel.
— L’homme qui accompagne Lara est un demi-dieu du nom de Ka?, dit Ilias. C’est le fils de Triton et il est membre de la Triade.
Apparemment, renverser les dieux était une affaire de famille, puisque Triton était également fils de Poséidon.
Il y avait d’autres photos dans le dossier, dont une de Lara dans une manifestation récente pour la fin de la tempête, et une autre avec Ka?.
Hadès étudia le demi-dieu. Il voyait des ressemblances avec Thésée dans son visage, dans son expression plut?t que dans ses traits. Il y avait un éclat de haine et de suffisance dans son regard. C’était un homme qui pensait que le monde lui était d?, sans doute pour compenser le fait qu’il n’avait pas autant de pouvoirs que son père et que son grand-père. Poséidon pensait également que tout lui était d?, et à l’évidence, il transmettait cette conviction à sa progéniture.
Quelqu’un frappa à la porte et Hadès regarda Ilias avant de hocher la tête. Le satyre traversa la pièce jusqu’à la porte, qui s’ouvrit sur Thésée.
Hadès referma le dossier.
— Ilias, dit-il. Laisse-nous.
Le satyre s’inclina et passa à c?té de Thésée en lui bousculant l’épaule. Le demi-dieu ricana, mais Hadès n’était ni impressionné ni surpris. Thésée traversait la vie sans être affecté par l’impact qu’il avait sur les autres, ne se préoccupant que de lui-même.
Hadès fit le tour de son bureau, souhaitant que quelque chose le sépare de son neveu corrompu.
— Tu arrives pile à temps, dit-il.
— J’avais les oreilles qui sifflaient.
— Alors tu as d? apprendre qu’Harmonie et Adonis avaient été attaqués.
— Des rumeurs circulent à ce sujet, oui. Je présume que tu supposes que je suis impliqué ?
— Tu es venu le nier ?