— Perséphone, c’est moi, chhhut !
Quand elle planta ses ongles dans sa peau, il comprit qu’il perdait la bataille, mais il ne savait pas par quel autre moyen la réveiller et il était hors de question qu’il la laisse affronter l’horreur de son cauchemar. Il continua d’essayer de l’allonger sur le dos, mais elle plia la jambe et lui mit un coup de genou dans le visage.
Hadès atterrit sur le dos et Perséphone recula contre la tête de lit, comme si elle était piégée.
— Perséphone.
Il avan?a vers elle quand, tout à coup, elle cria. Un déchirement horrible retentit et des lianes et des épines transpercèrent sa chair. Il sentit l’odeur du sang mêlée à celle de sa magie, qu’il trouvait sucrée, d’habitude, mais qui, cette fois, lui paraissait atrocement amère. Il allait vomir.
— Perséphone, gémit-il d’un ton rempli de douleur.
Il invoqua un feu dans la cheminée et, à la lueur des flammes, il découvrit les dég?ts qu’elle s’était faits.
Son estomac se noua, mais ce fut encore pire quand il vit ses grands yeux horrifiés.
Elle était désormais réveillée, pleinement consciente de ce qu’elle avait fait, et elle craqua, secouée de sanglots.
— Regarde-moi, ordonna Hadès.
Il ne voulait pas lui aboyer dessus, et il détesta la voir grimacer au son de sa voix, mais il était presque hystérique et c’était la seule chose qu’il pouvait faire pour rester calme.
Il tendit la main vers les épines qui déchiraient sa peau et dès qu’il en toucha une, elles disparurent dans un nuage de poussière noire. Il se concentra ensuite sur ses plaies béantes ; un procédé lent et agonisant. Son corps était br?lant et ses oreilles vrombissaient au point qu’il n’entendait rien. Il ne savait même pas si Perséphone pleurait encore. La seule chose qu’il pouvait faire pour ne pas craquer était de contracter sa m?choire si fort qu’elle lui faisait mal, jusqu’à ce que la br?lure dans sa gorge et dans ses yeux ait cessé.
Sauf que ce ne fut pas le cas et, même après qu’il eut fini, il avait l’impression de voir le traumatisme sur sa peau. Peut-être était-ce parce qu’elle était encore couverte de sang.
— Je t’emmène aux bains, dit-il en se levant et en frottant ses mains sur ses cuisses, pensant d’abord les sécher avant de se souvenir qu’il était nu et que sa peau était moite.
Il invoqua sa robe, espérant que ce serait moins glissant.
— Est-ce que… je peux te porter ?
Il lui semblait nécessaire de lui poser la question. Il aurait d? avoir la présence d’esprit de ne pas la toucher pendant qu’elle dormait. ?tait-ce à cause de lui que ce cauchemar avait été terrible à ce point ?
Perséphone hocha la tête et quand il se baissa pour la prendre dans ses bras, il eut l’impression de ne plus savoir comment la tenir. Quelle manière lui ferait moins mal, lui laisserait moins de cicatrices ? Il était certain que l’emmener aux bains était mieux que de la laisser macérer dans son propre sang.
Il la porta jusqu’au bout du couloir, jusqu’à un des plus petits bassins où il la posa. Il pensait qu’elle se précipiterait dans l’eau, mais elle n’en fit rien. Elle resta debout, les yeux rivés sur lui. Il voulait la débarrasser du sang qui la recouvrait.
— Je peux te déshabiller ?
Elle hocha la tête, l’air hébétée, et s’il hésita à la toucher, il le fit tout de même, l’aidant à enlever sa nuisette avant de se déshabiller à son tour.
Ses gestes n’avaient rien de sexuel, son seul désir était de s’assurer qu’elle allait bien. Il coiffa délicatement une mèche dorée sur son épaule, et elle ferma les yeux en frissonnant violemment. Il laissa retomber sa main.
— Est-ce que tu per?ois la différence ? demanda-t-il. Entre mon toucher et le sien ?
— Quand je suis réveillée, oui, chuchota-t-elle.
Il avait aggravé la situation. Sa gorge était tellement nouée qu’il ne pouvait plus respirer.
— Est-ce que je peux te toucher maintenant ?
— Tu n’as pas besoin de le demander.
— Je préfère le faire, répondit-il en la prenant à nouveau dans ses bras. Au cas où tu ne serais pas prête.
Cette fois, ce fut un peu moins difficile.
Il descendit les marches et ils avancèrent dans l’eau. Le sang se dissipa lentement. Il la garda contre lui, elle ne le repoussa pas.
— Je ne comprends pas pourquoi je rêve de lui, dit-elle après un long silence. Parfois, quand je repense à ce jour, je me rappelle combien j’avais peur. Et d’autres fois, je me dis que je ne devrais pas être affectée à ce point. D’autres ont…
— Tu ne peux pas comparer les traumatismes, Perséphone, dit-il en lui coupant la parole.
Il savait ce qu’elle allait dire ; d’autres ont vécu pire. Aucun homme sur terre ne dirait jamais une chose pareille. Il n’y avait qu’aux femmes qu’on enseignait que leur douleur ne suffisait jamais.
— C’est juste que j’ai l’impression que j’aurais d? m’en douter, dit-elle. Je n’aurais jamais d?…
— Perséphone.
Il ne supportait pas de l’entendre parler de ce qu’elle aurait d? savoir ou faire. Elle n’aurait jamais d? se retrouver dans cette situation, point à la ligne. Elle était une proie, et Pirithoos était le prédateur.
— Comment aurais-tu pu le savoir ? demanda-t-il. Pirithoos s’est présenté comme un ami. Il a profité de ta gentillesse et de ta compassion. Le seul à être en tort dans cette histoire, c’est lui.
Elle ne le regardait pas pendant qu’il parlait, mais il sut qu’elle pleurait. Elle essaya d’essuyer ses larmes, mais elle ne put les retenir et enfouit son visage dans ses mains.
Il ne savait quoi faire d’autre, à part la serrer contre lui. Elle recula seulement lorsqu’elle parvint à se calmer et elle se frotta le visage dans l’eau, puis ils retournèrent à leur chambre.
Hadès leur servit un verre de whiskey.
— Bois, dit-il en tendant la boisson à Perséphone.
Il la regarda en boire une gorgée avant de vider son propre verre d’un trait.
— Est-ce que tu veux dormir ?
Il lui avait posé la question car il n’y tenait pas, et il ne lui en voudrait pas de ne plus jamais vouloir retourner dans leur lit. D’ailleurs, dans l’immédiat, il n’était pas certain d’en être capable non plus.
Elle regarda le lit. Il avait br?lé le sang avec sa magie afin qu’il n’en reste plus la moindre trace, mais il savait qu’il ne pouvait pas en effacer le souvenir. En tout cas, pas le sien.
— Viens, assieds-toi avec moi, dit-il en s’installant près du feu.
Il la toucha à peine quand elle s’assit sur ses genoux, mais une fois installée contre lui, il la serra plus fort.
Son corps devint plus lourd, son souffle plus régulier, et elle s’endormit rapidement. Pendant un long moment, il n’osa pas bouger de peur de la réveiller, mais il craignit alors qu’elle rêve de nouveau et qu’il aggrave la situation en la tenant dans ses bras.