Elle tourna sur elle-même en balayant l’appartement des yeux.
Il avait oublié combien il aimait être ici, combien il s’y sentait en sécurité contrairement au club, qui était toujours bondé et bruyant. Ce lieu était tranquille. Les murs étaient peints dans des tons chauds et la plupart étaient couverts d’étagères remplies de livres. Il y avait un canapé simple, en lin, et une table basse en verre devant une cheminée, sur laquelle reposaient d’autres livres. Les fenêtres à petits carreaux étaient couvertes par d’épais rideaux qu’il ouvrait rarement, car il n’avait guère envie d’observer le monde qu’il voyait si souvent.
— Où sommes-nous ? demanda Ariadne.
— Chez moi.
— Tu vis ici ?
— Oui, je vis ici, dit-il. Tu es surprise ?
— Ben, tu sembles toujours être à Bakkheia.
Il ne lui dit pas que cela faisait un mois qu’il n’était pas venu ici.
— Pourquoi sommes-nous ici ? demanda-t-elle en se tournant vers lui ? Pourquoi on n’est pas rentrés au club ?
— Je n’avais pas envie d’être là-bas.
C’était trop – trop bruyant, trop lumineux, trop bondé.
Ariadne inspira et enleva la veste qu’il avait passée sur ses épaules, puis elle s’assit au bord du canapé. Dionysos l’étudia, il ne pouvait s’en empêcher. Il voulait savoir ce qu’elle pensait.
— Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? demanda-t-elle.
Avec un peu de chance, tu vas me prendre.
Bien évidemment, elle pensait à leur prochaine action. Qu’allaient-ils faire maintenant qu’ils savaient que le dernier endroit où Méduse avait été vue était près de l’océan, près du royaume de Poséidon ?
— Je ne sais pas, admit-il.
Il avait besoin de temps pour réfléchir. Mais avaient-ils le temps, justement ?
— Est-ce qu’on peut faire confiance à Michail pour ne pas dire qui on cherche ?
— Non, répondit Dionysos.
Elle le dévisagea.
— Alors pourquoi tu ne l’as pas tué ?
Dionysos haussa un sourcil.
— Du calme, inspectrice, je croyais que tu étais contre le meurtre ?
Elle le fusilla du regard.
— Ce n’est pas comme si Michail était quelqu’un de bien.
Il ne la contredit pas parce qu’il était d’accord, mais Dionysos doutait qu’il y ait qui que ce soit de bon dans ce monde. Chacun était capable de choses horribles.
— Peu importe que Michail vive ou meure, dit-il. Les gens continueront de chercher Méduse.
— Mais ont-ils fait autant de progrès que nous ?
— C’est dur à dire, mais je peux t’assurer que personne ne doit en avoir fait plus que nous.
— Pourquoi ? Comment ?a ?
— Parce que tous ceux qui la cherchent laisseront tomber quand ils découvriront que Poséidon est impliqué, ou alors ils finiront empalés sur une fourche glorifiée.
— Y compris toi ?
— J’aime savoir que tu me crois capable d’affronter Poséidon.
— Je me fiche de savoir si tu peux, dit Ariadne. Je veux savoir si tu le feras.
— Tu sembles penser que tout est simple et que tout se résume à un oui ou un non, dit-il d’un ton frustré. Si Poséidon ne conna?t pas encore l’importance de Méduse, il l’apprendra quand je le confronterai.
— Alors, ne le confronte pas, dit-elle.
— Et comment veux-tu qu’on la retrouve, dans ce cas ?
— Je vais le faire, dit-elle.
— Non, répondit-il aussit?t.
Il refusait de l’envisager. Poséidon était un enfoiré. Immense. Surtout envers les femmes. Il était hors de question qu’il fasse subir ?a à Ariadne.
— Poséidon ne sait rien de moi, insista Ariadne en haussant les épaules. Pour lui, je ne suis qu’une mortelle qui cherche… sa s?ur.
— Tu crois que ?a va l’intéresser ?
— Non. Mais peut-être qu’il sera intéressé par ce que j’ai à offrir.
— Et c’est quoi, au juste ?
Elle ne répondit rien et Dionysos fit un pas vers elle.
— Qu’as-tu à offrir, Ariadne ? Des informations sur mes opérations ? Sur mes Ménades ? Vas-tu sacrifier cent vies pour en sauver une seule ?
— Tu crois que je te trahirais ? demanda-t-elle.
— Ta fidélité repose avec ta s?ur, dit-il. Et je ne t’en veux pas, mais ?a veut dire que je ne peux pas te faire confiance.
Elle ne répondit rien, mais sa colère était flagrante.
— Alors tu abandonnes ? dit-elle enfin.
— Je n’abandonne pas ! rétorqua-t-il. Mais j’ai besoin de réfléchir, et tu ne me rends vraiment pas la t?che facile, ce soir.
Ils se regardèrent quelques secondes puis elle tourna la tête en croisant les bras, comme pour prendre ses distances avec tout ce qui s’était passé, y compris avec Dionysos.
Il n’aurait pas d? être surpris, et cela n’aurait pas d? l’affecter, mais ce n’était pas le cas. Il le vivait comme un rejet, comme un coup de poignard. Il savait que ce qui s’était passé ce soir était seulement d? à la situation, et qu’avoir des sentiments à ce sujet impliquait qu’il avait des attentes, ce qui était ridicule. Quoi qu’il y ait entre eux, ?a ne pouvait pas ne pas donner lieu à des regrets, pour elle comme pour lui.
Comme ce soir.
— Il y a une chambre au bout du couloir où tu peux dormir, dit-il. Une salle de bains, aussi. Je vais… euh… tu as besoin de te changer ?
Il la regarda et elle finit par hocher la tête.
— S’il te pla?t, oui, chuchota-t-elle.
— Je reviens, dit-il en empruntant l’autre couloir jusqu’à sa chambre.
Quand il ouvrit la porte, l’air froid de sa chambre le frappa. Il avait été absent depuis si longtemps qu’il n’avait pas allumé le chauffage, ce qui était insensé. C’était l’été. Il aurait d? faire chaud, mais au lieu de ?a, la neige tombait un peu plus chaque jour.
Il attrapa un tee-shirt dans son tiroir et l’apporta à Ariadne.
— Il fait peut-être froid dans ta chambre, dit-il. Je vais… ajuster la température.
Elle hocha simplement la tête. Il détestait ces moments de tension silencieuse qui s’établissaient entre eux.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, je serai là-bas, dit-il en tournant les talons et en ajustant le thermostat avant d’aller à sa chambre.
Il enleva ses vêtements et se doucha, restant plus longtemps que d’habitude sous le jet d’eau chaude. Il empoigna sa verge, désespéré de se soulager, de ne plus sentir le poids qu’il tra?nait entre ses cuisses depuis des jours.
Car cela faisait des jours. Cela faisait des semaines.