Hadès ouvrit les yeux pour découvrir un esprit qui se tenait au bout du couloir. Il en embauchait plusieurs aux Enfers. Ils étaient différents des ?mes : ils n’étaient pas morts et ils possédaient de petits pouvoirs, capables d’influencer légèrement certaines émotions spécifiques. Alètheia, qui le dévisageait avec de grands yeux presque terrorisés, était l’esprit de la vérité et de la sincérité. De tous les esprits qui vivaient là, son influence était sans doute la moins mena?ante.
— Je vais bien, lui dit-il.
Elle hésita, comme si elle ne savait pas quoi dire.
— Vous avez besoin de quelque chose ? demanda-t-elle enfin.
D’un seau d’eau glacée, pensa-t-il.
— Non, Alètheia.
Elle écarquilla les yeux lorsqu’il dit son nom.
— Merci, ajouta-t-il.
L’esprit hocha la tête et s’éloigna, p?le comme un linge.
Hadès envisagea de se téléporter aux bains pour se jeter dans un des bassins, mais il resta dans le couloir et attendit que Perséphone sorte de leur chambre, vêtue de la tenue la plus complexe qu’il ait jamais vue. Pourquoi y avait-il tant de couches ?
— Quoi ? demanda-t-elle, clairement mal à l’aise d’être scrutée de la sorte.
— J’essaie d’évaluer combien de temps il va me falloir pour te déshabiller.
Elle haussa un sourcil.
— Je croyais que c’était justement pour ne pas le faire que tu étais sorti de la chambre.
— J’essaie juste d’établir un planning.
Pour plus tard… quand ?a ne lui para?trait pas aussi mal de la prendre.
Il lui prit la main et l’attira contre lui pour les téléporter à la Tour Alexandria. Quand ils arrivèrent, il la l?cha, et elle regarda autour d’elle en silence. C’est seulement quand elle se racla la gorge qu’il se rendit compte qu’elle était émue de se retrouver ici.
— Qu’est-ce qu’on fait à la Tour Alexandria ?
Il paniqua soudain avant de réaliser pourquoi elle avait tant de mal à être dans ce lieu. Il lui rappelait Lexa.
Merde, il aurait d? y penser. Il aurait au moins d? la préparer à revenir ici, mais ?a ne lui avait même pas traversé l’esprit. ? présent, il craignait qu’elle rejette d’emblée sa proposition, mais il devait quand même essayer.
— J’aimerais que tu installes ton bureau ici, dit-il.
C’était l’endroit parfait. Il possédait le b?timent ainsi que toutes les entreprises qui y étaient installées, y compris la Fondation Cyprès, dans laquelle il espérait que Perséphone s’implique davantage. ?tre aussi près de Katerina permettrait une plus grande collaboration. Mais le plus important, c’était que Perséphone ne le per?oive pas comme une sorte de prison.
Perséphone tourna la tête vers lui. Elle avait l’air surprise, et il n’arrivait pas à savoir si c’était une bonne chose.
— C’est à cause d’hier ?
— C’est une des raisons, oui. Ce sera pratique aussi. J’aimerais ton avis sur l’avancée du Projet Alcyon et j’imagine que ton travail avec Le Porte-Parole mènera à d’autres idées.
— Tu me demandes de travailler avec Katerina ?
— Oui, dit-il. Tu es la reine de mon royaume et de mon empire. Je trouve logique que la Fondation nourrisse aussi tes passions.
Son silence l’inquiétait, il l’observa faire le tour de la pièce.
— Tu es contre ? demanda Hadès.
Il ne pouvait s’en empêcher. Il avait besoin de savoir ce qu’elle pensait.
— Non, répondit-elle avant de se tourner vers lui. Merci. J’ai h?te de le dire à Hélène et Leucé.
Il se sentit aussit?t apaisé.
— De fa?on tout à fait égo?ste, je serai soulagé de t’avoir près de moi.
— Tu travailles rarement ici, remarqua Perséphone.
— C’est vrai, mais à partir de maintenant, répondit-il en avan?ant vers elle, c’est mon nouveau bureau préféré.
— Lord Hadès, je regrette de t’informer que je suis ici pour travailler, chuchota-t-elle en regardant sa bouche.
Son parfum était enivrant.
— Bien s?r, répondit-il en coiffant une mèche derrière son oreille. Mais tu auras besoin de faire des pauses et de manger, et j’ai h?te d’en profiter.
— Le but des pauses n’est-il pas de ne rien faire ?
— Je n’ai pas dit que je te ferai travailler.
Il la tint contre lui et s’apprêtait à l’embrasser quand il sentit Katerina approcher. Elle se racla la gorge pour signaler sa présence et Hadès ne sut si c’était aga?ant ou courtois. Il l?cha Perséphone qui recula, ce qui irrita Hadès de plus belle.
Peut-être fallait-il qu’il rappelle à Katerina qu’ils n’avaient pas à obéir aux mêmes règles que les autres ? Il comptait montrer à Perséphone autant d’affection qu’il le souhaitait, y compris la prendre dans son bureau au gré de ses envies.
— Lady Perséphone ! dit Katerina d’un ton aussi ensoleillé que sa tenue.
Elle esquissa une révérence et Perséphone lui sourit.
— Katerina, c’est un plaisir, répondit-elle.
— Je suis navrée de vous déranger, commen?a la directrice en regardant Hadès avant de revenir sur Perséphone.
Ce bref regard suffit à lui faire comprendre que, quoi que Katerina ait à lui dire, ce n’était pas une bonne nouvelle. Merde. Il pensa aussit?t à la prophétie dont elle lui avait fait part dans le Jardin d’Enfants. Avait-elle changé ?
— Quand j’ai su qu’Hadès était arrivé, j’ai voulu l’intercepter avant qu’il ne disparaisse à nouveau, conclut-elle.
— J’arrive dans un instant, Katerina, répondit le dieu.
Elle lui sourit, mais sa joie n’atteignit pas son regard, lui faisant redouter davantage encore ce qu’elle s’apprêtait à lui dire.
— Bien s?r, répondit la mortelle avant de s’adresser à Perséphone. C’est un honneur de vous avoir parmi nous, Milady.
Elle tourna les talons et Perséphone leva la tête vers Hadès.
— De quoi veut-elle te parler ?
— Je t’expliquerai plus tard, répondit-il.
Quand il le saurait lui-même.
— De la même fa?on que tu allais me dire où tu étais l’autre soir ? insista-t-elle en haussant un sourcil.
Hadès plissa les yeux.
— Je te l’ai dit, je négociais avec des monstres.
— Tu parles d’une réponse évasive…
Hadès soupira.
— Je ne cherche pas à te cacher quoi que ce soit. C’est juste que je ne veux pas t’accabler davantage pendant ton deuil.
Elle sembla hésiter avant de répondre.
— Je ne suis pas en colère contre toi, c’était presque une plaisanterie.
— Presque, acquies?a-t-il en riant d’un ton incrédule.
Elle plaisantait presque, elle était presque heureuse, et presque en colère. Sans doute devrait-il s’en contenter, car il était vrai qu’il ne lui disait pas tout, mais presque.
Il lui caressa à nouveau la joue et la regarda tendrement.
— On en parlera ce soir, dit-il.
C’était la seule promesse qu’il pouvait lui faire, pour l’instant, car il devait rejoindre Katerina pour savoir ce qu’elle souhaitait lui dire, et Perséphone devait se mettre au travail.
Il soutint son regard quelques secondes de plus, l’estomac de plus en plus noué. Il aurait aimé l’embrasser, faire autre chose que d’être planté là comme un imbécile. Mais s’il commen?ait, il ne s’arrêterait plus – alors il recula jusqu’au couloir. Il sentit son regard sur lui jusqu’à ce qu’il atteigne le bureau de Katerina.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en fermant la porte.
Katerina regarda autour d’elle, comme si elle avait peur de parler. Personne ne pouvait les entendre, mais les murs étaient tous vitrés.