Devait-il aller au Tartare et déverser sa rage sur Pirithoos, qui était en partie responsable de la situation ? En général, cela lui semblait être la bonne marche à suivre, mais pour une raison ou une autre, ce n’était pas le cas ce soir.
Cette colère était différente. Elle n’était pas destructrice. Elle était terrifiante.
Ce qui l’inquiétait le plus, c’était que d’habitude il savait quoi faire de ce sentiment. Pas cette fois. Cette fois était différente, et il avait besoin d’Hécate.
— Laisse-moi attraper mon calendrier, dit-elle. Je dois y noter l’événement !
Hadès se retourna, elle sortait de la pénombre entourant la clairière. Elle était vêtue d’une cape dont elle retira la capuche, mais il ne voyait toujours pas son visage dans la nuit noire.
— Hécate, j’ai…
— Besoin de moi ? dit-elle en souriant et en haussant les sourcils.
Hadès ouvrit la bouche, mais il ne sut quoi répondre.
— Je suppose que tu n’as pas besoin de le verbaliser, j’ai déjà lu dans tes pensées.
Hadès referma brusquement la bouche et resta silencieux quelques instants.
— Je ne sais pas à qui d’autre m’adresser.
— Eh bien, il est vrai que je suis d’une sagesse infinie, dit-elle. Qu’est-ce qui te perturbe ?
— Je croyais que tu lisais dans mes pensées ?
— Ne sois pas insolent, gronda-t-elle.
Hadès plissa les yeux. Il savait qu’elle avait parfaitement conscience de ce qu’il ressentait. Elle souhaitait l’entendre le lui dire, et s’il ne le faisait pas, ce serait la fin de cette conversation. Il finit par soupirer et se frotter le visage.
— Je suis en colère, dit-il.
— Ce n’est pas nouveau.
— Cette fois, c’est différent, dit-il avant de marquer une pause, cherchant les mots pour qu’elle comprenne. Je… je n’arrive pas à… m’en débarrasser, et rien de ce que je fais d’habitude ne fonctionne.
— Qu’est-ce qui a provoqué cette colère ?
Il lui expliqua ce qui s’était passé ce soir. L’attaque violente sur Harmonie et le lien qu’il soup?onnait avec Adonis, le fait qu’il craignait que cela encourage d’autres Impies à attaquer les dieux en public, comme ce qui était arrivé à Perséphone pendant qu’elle travaillait au Coffee House.
— Peut-être que c’est moins de la colère que de la peur, dit-elle. Ce n’est pas inhabituel de ne pas voir la différence.
La peur semblait… ridicule. C’était beaucoup plus simple d’être en colère.
— C’est plus simple parce que c’est un sentiment familier, dit Hécate, répondant encore une fois à ses pensées.
Hadès serra les poings.
— Si j’ai peur, cela veut dire que je… je suis… inutile.
Il lui fallut un moment pour croiser le regard d’Hécate après cet aveu.
Il n’aimait pas ?a… quoi que ?a puisse être.
— ?a s’appelle simplement être vulnérable, dit-elle. Et bien évidemment que tu détestes ?a. Tu n’aimes pas ne pas avoir le contr?le, or c’est souvent le cas, surtout en ce qui concerne Perséphone.
— Tu ne m’aides pas vraiment, dit Hadès.
— Laisse-moi un peu de temps, on ne fait que commencer.
Hadès grogna. Que pouvait-elle encore avoir à dire ?
— Je… je ne sais pas quoi faire, dit-il.
S’il le pouvait, il emprisonnerait Perséphone aux Enfers et affronterait sa colère, si cela permettait de la protéger. Tant de choses ?uvraient contre eux dans le royaume des mortels. Si elle n’y allait jamais, au moins, elle serait en sécurité.
— Et elle en viendrait à te détester, tout comme elle déteste sa mère, dit Hécate.
— Je sais, admit-il. Je ne veux pas la retenir prisonnière, mais c’est la seule chose qui me permet de me sentir… en paix.
Cependant, ce n’était pas tout à fait vrai. Si cela permettait de supprimer un sentiment, cela donnait naissance à d’autres, en particulier l’appréhension et l’angoisse.
— Peut-être que tu dois simplement t’autoriser à ressentir ta peur, dit Hécate. Il est normal de l’honorer et d’accepter qu’elle occupe une place en toi, même si tu es un m?le alpha ténébreux.
Hadès la fusilla du regard.
— Ce n’est pas comme si tu ne prévoyais pas de protéger Perséphone ou de trouver les coupables des agressions d’Adonis et Harmonie. En ce qui concerne les actions, tu as fait tout ton possible.
— Mais est-ce que cela suffira ?
— Suffira à quoi ? demanda Hécate. ? protéger Perséphone de souffrir ou de vivre de nouveaux traumatismes ? Le seul monde dans lequel c’est possible, c’est ici, aux Enfers. Et si elle est ici, cela veut dire qu’elle est morte.
Hadès eut l’impression qu’on l’étranglait.
— Si tu veux partager sa vie, tu dois te contenter d’être la personne dont elle a besoin dans les moments difficiles, peu importe combien cela te fait souffrir. Et elle en fera de même pour toi.
Hadès ne pouvait regarder Hécate. Au lieu de ?a, il fixa la forêt sombre qui entourait la clairière. Il comprenait ce qu’elle disait, et après tout ce que lui et Perséphone avaient traversé, il ne devrait pas avoir de mal à partager son fardeau avec elle. Pourtant il n’y arrivait pas.
Cela lui paraissait… injuste. Et si c’était trop pour elle ?
— Est-ce qu’elle s’est déjà trop appuyée sur toi ? demanda Hécate.
— Non, dit Hadès. Elle ne pourrait jamais…
— Elle ressent la même chose à ton sujet, Hadès. Tu dois cesser de penser que ton amour est plus grand que le sien simplement parce que tu as vécu plus longtemps, désiré plus longtemps.
Hadès retint son souffle. D’une certaine fa?on, il avait l’impression d’être agressé, même s’il savait qu’Hécate avait raison. Il pensait justement de cette manière, et souvent.
Soudain, une vague de culpabilité prit le pas sur sa peur.
— Perséphone t’a choisi, et elle t’accepte, quelle que soit la manière que tu as de t’offrir à elle. Mais est-ce juste de ne pas lui montrer ta souffrance alors que tu es si souvent témoin de la sienne ?
— Je la protège, dit Hadès.
— C’est elle que tu protèges, ou toi ?
Hadès resta silencieux.
— Perséphone a grandi, parce qu’à un moment donné, tu lui as permis de se sentir suffisamment en sécurité pour se montrer vulnérable avec toi. Le résultat est qu’elle parvient désormais à comprendre ta vision des choses et à respecter tes décisions. Si tu ne lui offres pas la même chose, peux-tu vraiment la respecter ?
Hadès grin?ait si fort des dents qu’il en eut mal à la m?choire et que la douleur se propagea dans sa nuque.
— Si tu t’attends à ce que le monde vous sépare, c’est ce qui arrivera.
— Alors que devrais-je faire, d’après toi ?
— Je veux que tu cesses de te comporter comme un imbécile, dit Hécate d’un ton dénué de reproche. Je veux que tu reconnaisses l’importance de te montrer vulnérable avec Perséphone, parce que si vous êtes tous les deux puissants chacun de votre c?té, ensemble, vous êtes inarrêtables.
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