Hadès les connaissait trop bien.
— Hadès ?
Encore une fois, Perséphone se tournait vers lui.
— Ce pourrait être une relique ou bien un dieu qui a soif de pouvoir.
Il se garda de dire que ce pourrait être les deux. Il pensa à Poséidon, qui avait donné le fuseau au mortel Sisyphe. Celui-ci aurait pu s’en servir pour manipuler les lignes de vie des mortels, mais au lieu de ?a, il avait choisi de les tuer.
Et maintenant, Poséidon semblait avoir donné la faux de Cronos.
— Tu as une idée, Hépha?stos ? demanda Hadès.
Il eut beau secouer la tête, il sembla à Hadès que le dieu savait quelque chose.
— J’aurais besoin d’en savoir plus, dit-il.
— Laissons-la se reposer. ? son réveil, donnez-lui de l’ambroisie et du miel, dit Apollon en se levant.
Perséphone se leva en même temps et saisit son bras quand il trébucha.
— Tu es s?r que ?a va ? demanda-t-elle.
Son inquiétude pour le dieu de la Musique était déplacée, et le dieu le prouva en prenant la parole.
— Ouais, ricana-t-il. Reste à l’aff?t, Seph. Je t’invoquerai bient?t, dit-il avant de dispara?tre.
Hadès fixa l’endroit où Apollon s’était tenu et fron?a les sourcils. Le contrat qu’il avait avec Perséphone continuait de le déranger, il n’aimait pas qu’Apollon puisse invoquer sa fiancée quand l’envie le prenait, et surtout dans cet environnement, alors que des déesses étaient agressées.
Il croisa brièvement le regard de Perséphone avant de se tourner vers Aphrodite.
— Pourquoi nous as-tu invoqués ?
C’était sans doute évident pour Perséphone, mais ce n’était pas le cas d’Hadès. Aphrodite savait qu’il ne pouvait pas guérir sa s?ur ni voir ses souvenirs.
Aphrodite se tint plus droite en le regardant. Ses yeux étaient rouges et gonflés. Il ne l’avait jamais vue aussi angoissée et cela le mit mal à l’aise.
— C’est Perséphone que j’ai invoquée, pas toi, rétorqua-t-elle.
Ils fusillèrent tous deux Hermès du regard.
— Quoi ? s’offusqua le dieu. Tu sais bien qu’Hadès ne l’aurait pas laissée venir seule !
— Moi ? demanda Perséphone. Pourquoi ?
Bonne question, se dit Hadès.
— J’aimerais que tu enquêtes sur les agressions d’Adonis et d’Harmonie, dit-elle.
— Non ! gronda aussit?t Hadès.
C’était hors de question. Perséphone n’avait pas à être impliquée. Il s’en occupait très bien tout seul.
— Tu demandes à ma fiancée de retrouver la trace des mortels qui ont blessé ta s?ur. Pourquoi je dirais oui ?
— C’est à moi qu’elle le demande, pas à toi, remarqua Perséphone en le regardant, tout énervée.
Elle marqua une pause avant de s’adresser de nouveau à Aphrodite.
— Mais pourquoi moi ? demanda Perséphone. Pourquoi ne pas demander de l’aide à Hélios ?
Hadès secouait déjà la tête.
— Hélios est un enfoiré, cracha Aphrodite. Il pense qu’il ne nous doit rien parce qu’il s’est battu pour nous pendant la Titanomachie. Je préfère baiser ses vaches plut?t que lui demander de l’aide. Non, il ne me donnerait pas ce que je veux.
— Et qu’est-ce que tu veux ? demanda Perséphone.
— Des noms, Perséphone. Je veux le nom de chaque personne qui a posé la main sur ma s?ur.
Et pas Adonis ? Hadès regarda Hépha?stos du coin de l’?il en se demandant si elle se censurait à cause de lui.
— Je ne peux pas te promettre des noms, Aphrodite. Tu sais bien que non.
— Tu le peux, insista-t-elle. Mais tu ne le feras pas à cause de lui, ajouta-t-elle en regardant Hadès.
Hadès contracta sa m?choire.
— Tu n’es pas la déesse de la Vengeance Divine, Aphrodite.
— Alors, promets-moi que tu enverras Némésis pour me venger.
— Je ne promettrai rien de la sorte.
Si Aphrodite décidait de tuer quelqu’un dont le destin ne la regardait pas, elle serait punie. Il ne savait dire comment, mais les Moires s’occuperaient d’elle t?t ou tard.
— Ceux qui ont blessé le mortel et Harmonie ont un plan, un but, dit Hépha?stos. Faire souffrir ceux qui les ont agressés ne nous obtiendra rien. Au contraire, cela pourrait servir leur cause sans qu’on le veuille.
La remarque ne plut pas à Aphrodite. Cela dit, la suite de ses propositions ne plut pas non plus à Hadès.
— Si c’est le cas, raison de plus pour que Perséphone enquête sur l’agression d’Harmonie, poursuivit le dieu du Feu. Elle a le profil parfait : elle est journaliste et mortelle. ?tant donné la fa?on dont elle a déjà critiqué les dieux, les agresseurs penseront sans doute qu’ils peuvent lui faire confiance, voire la rallier à leur cause. Quoi qu’il en soit, ce serait le meilleur moyen de comprendre notre ennemi, d’établir un plan et d’agir.
— Je ne ferai rien sans que tu sois au courant, dit Perséphone en soutenant le regard d’Hadès. Zofie sera avec moi.
— On discutera des détails plus tard.
Il n’avait pas dit non, mais il n’avait pas dit oui non plus. Il fut tout de même récompensé par son sourire, et il eut l’impression d’avoir conquis le monde entier.
— Mais, pour l’instant, tu dois te reposer, ajouta-t-il avant de regarder Hépha?stos, car il ne faisait confiance ni à Aphrodite ni à Hermès.
— Appelle-nous dès qu’Harmonie se réveille.
*
* *
Hadès les emmena dans leur chambre.
Quand ils furent arrivés, ils restèrent à quelques pas l’un de l’autre, face à face, sans bouger.
Hadès essayait de comprendre ce qu’entra?nerait l’implication de Perséphone dans l’enquête sur les agresseurs d’Adonis et d’Harmonie. Si elle pouvait le faire en sécurité depuis la Tour Alexandria, son travail d’investigation serait utile, mais était-elle prête à le faire ? Il lui semblait qu’elle était sur le point de craquer, et il n’était pas certain qu’elle en soit consciente.
— Tu me tiendras au courant de chacune de tes initiatives et de chaque information que tu obtiendras sur cette histoire, dit-il. Tu te téléporteras au travail. Si tu pars du boulot pour une raison quelconque, tu me le diras. Tu emmèneras Zofie partout avec toi, gronda-t-il en se rapprochant d’elle. Et, Perséphone, si je dis non…
Il était on ne peut plus sérieux. Il n’osait verbaliser les conséquences qu’il mettrait en place si elle lui désobéissait, mais elles seraient terribles, et elle le détesterait.
— D’accord, dit-elle avec un regard et une voix si sincères qu’il sentit sa poitrine se comprimer.
Il soupira longuement et pressa leurs fronts l’un contre l’autre.
— S’il t’arrivait quoi que ce soit…
Il ne pouvait imaginer qu’elle soit à la place d’Harmonie.
— Hadès… je suis ici. Je suis en sécurité. Tu ne laisseras rien m’arriver.
— Mais je l’ai déjà fait, répondit-il.
Il avait laissé Pirithoos l’enlever, et il n’en avait rien su. Il l’avait laissé agresser sa déesse.