— Hépha?stos, tu ne crois pas vraiment que…
— Je crois ce qu’elle dit, Hadès, s’empressa de répondre le dieu. Je n’ai rien d’autre.
Hadès ne savait pas quoi dire.
Les deux dieux s’aimaient presque depuis le début de leurs vies immortelles, mais ils n’avaient jamais appris à parler le même langage.
— Elle aurait d? me quitter depuis longtemps.
— Tu ne connais donc pas la femme que tu as épousée ? demanda Hadès. Si elle voulait partir, elle l’aurait fait.
— Dans ce cas, sa seule source de plaisir doit être ma peine, dit Hépha?stos.
C’était la deuxième fois de la soirée qu’Hadès ne savait quoi répondre, et le plus difficile était qu’il ne pouvait contredire le dieu du Feu. Il semblait en effet qu’Aphrodite aimait la tristesse, mais pas pour la raison qu’imaginait Hépha?stos. C’était plut?t qu’elle choisissait de se languir de lui – de l’aimer de loin.
Hadès n’ignorait pas l’ironie du sort pour la déesse de l’Amour.
— Est-elle au courant de ta colère ? demanda Hadès.
— Non. Non, elle ne peut pas le savoir. Et si… et si…
Il semblait incapable de terminer sa phrase.
— Tu crois que tu lui ferais du mal ?
— Je ne suis pas bon, Hadès, dit Hépha?stos. Je ne l’ai jamais été.
Hadès ne savait pas à quoi le dieu faisait référence, mais quel que f?t le souvenir, il continuait de le hanter.
— Peut-être pas, dit Hadès, mais je ne le suis pas non plus. Et ce soir, une autre personne chère à Aphrodite a été attaquée. La première est morte.
— Si tu crois que je ne suis pas au courant… dit Hépha?stos en serrant ses poings ensanglantés.
Il les serrait si fort que ses phalanges étaient blanches, mais Hadès ne savait pas d’où venait sa colère ; du fait que la première victime soit Adonis, l’amant favori d’Aphrodite, ou du fait qu’elle semble être la cible.
— Adonis a été poignardé avec la faux de Cronos, dit Hadès en sortant la pointe qu’il gardait dans la poche de sa veste.
Il la tendit au dieu du Feu qui la caressa avec son pouce. Elle n’était pas lisse, la surface était finement gravée.
— D’abord ?a, et maintenant les cornes d’Harmonie, dit Hadès. Ces gens ont des armes capables de blesser les dieux, Hépha?stos. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils trouvent quelque chose vraiment capable de nous tuer… et étant donné le schéma qui se dessine, qui sera la première victime, d’après toi ?
Hépha?stos plongea son regard furieux dans celui d’Hadès.
— Tu n’as pas besoin de me rappeler la menace qui plane sur ma femme pour me convaincre de t’aider, Hadès, dit Hépha?stos en étudiant de nouveau la pointe en adamantine. Qui sont ces gens dont tu parles ?
— Je soup?onne les Impies, répondit Hadès. Mais en vérité, je n’en sais rien. Peut-être que quand Harmonie se réveillera, elle pourra nous éclairer. Je suis s?r que maintenant qu’ils ont ses cornes, ils se vanteront de leur victoire en public.
Lorsque les mortels favoris mouraient, les médias s’emparaient souvent du sujet et de nombreux Impies étaient prêts à revendiquer ces meurtres. C’était pour eux un moyen de prouver que les dieux n’étaient pas aussi puissants qu’ils le prétendaient, ou à tout le moins qu’ils se fichaient de leurs fidèles mortels.
Pourtant s’emparer des cornes d’Harmonie, la s?ur d’une Olympienne, était tout à fait différent. Cela prouvait qu’un mortel lambda pouvait s’approcher au plus près d’un dieu relativement puissant.
Cela prouvait que les dieux avaient des faiblesses.
— Et d’où elle vient ? demanda Hépha?stos en tenant la pointe de la lame entre ses doigts.
— Je soup?onne Poséidon, dit Hadès, relativement s?r de lui. Il y a un autre problème qui rend la menace qui pèse sur nous encore plus compliquée, ajouta-t-il. L’Ophiotauros a été ressuscité.
Une fois de plus, Hépha?stos regarda le dieu des Morts dans les yeux et referma le poing sur la lame. Il n’était pas encore né durant la Titanomachie, mais il était parfaitement au courant de ce que cela impliquait.
— Tu l’as trouvé ? demanda-t-il.
— Non.
— Quand ce sera le cas, laisse-moi le tuer, dit-il.
Hadès ne put s’empêcher de frissonner et il s’en voulut aussit?t.
— Si je le tue, expliqua Hépha?stos, je pourrai fabriquer une arme avec ses cendres.
Hadès le dévisagea. Il lui semblait commettre un acte de tra?trise en ayant cette conversation ; non pas vis-à-vis de Zeus mais d’eux-mêmes. Il savait déjà que le dieu du feu menait des expériences. Il l’avait surpris en train de fabriquer un trident en adamantine, une tentative de recréer l’arme la plus puissante de Poséidon.
— C’est trop dangereux, Hépha?stos, dit-il.
— Pas plus que ton casque, répondit Hépha?stos, ou le trident de Poséidon ou encore la foudre de Zeus.
— Sauf que ces armes n’ont pas pour prophétie de tuer les dieux, rétorqua Hadès.
— Je ne vais pas insister, dit le dieu du Feu. Mais l’offre reste valable, si besoin.
Hépha?stos tendit la main pour lui rendre la pointe de la faux, et Hadès l’étudia. Même si ce n’était qu’un petit bout de la lame, elle était tout aussi mortelle et contenait encore la magie de son père.
Il leva les yeux vers Hépha?stos.
— Est-ce que tu peux fabriquer une lame avec ce morceau ? demanda-t-il.
— Je le peux. Si tu le souhaites.
Après tout, Hépha?stos avait déjà commencé à forger des armes. La faux était puissante, et elle pouvait blesser sévèrement un dieu ; suffisamment pour l’enfermer au Tartare si nécessaire.
— Je le souhaite, dit Hadès.
*
* *
Hadès pensait qu’après avoir rendu visite à Hépha?stos, il reprendrait un peu le contr?le sur la violence qui faisait rage en lui, mais ce n’était pas le cas. Elle continuait de bouillir dans ses veines, mena?ant d’exploser.
Il avait l’impression de partager les sentiments d’Hépha?stos, ce soir, et de se sentir totalement inutile.
Il ne savait comment continuer, comment enfouir sa rage, mais Perséphone ne pouvait pas la voir. Il ne supporterait pas qu’elle soit témoin de cette horreur.
Il fit donc la seule chose qu’il savait faire ; il partit à la recherche d’Hécate. Quand il apparut dans sa clairière, il devina qu’elle n’était pas chez elle. Son chalet était plongé dans le noir, et tout était trop calme. En temps normal, il aurait cherché à sentir si elle était encore aux Enfers, puisqu’elle partait souvent au royaume des mortels pour faire ce qui lui plaisait dans la nuit, mais c’était sans importance, finalement.
?tre ici l’éloignait du palais.
Il fit les cent pas devant son chalet, essayant de se débarrasser de l’énergie électrique qui parcourait ses veines, cherchant à évaluer les options qui se présentaient à lui.