Ariadne lui serra fort la taille, pressant ses cuisses contre ses hanches, ce qui l’amusa d’abord. Mais bient?t, il ne put penser à rien d’autre en sortant du garage et en traversant Nouvelle Athènes en direction du quartier du Plaisir.
Il se pencha en avant sur la moto et Ariadne en fit de même, appuyant sa tête contre son dos, ses mains à plat sur son torse. Son corps se réchauffa à l’endroit où elle le touchait, malgré le froid qui le fouettait tandis qu’il zigzaguait dans la circulation, filant vers la c?te.
En arrivant en haut d’une colline, il vit le quartier scintiller de ses lumières rouges et ses symboles phalliques, il fut pris d’angoisse en pensant à la situation dans laquelle il s’apprêtait à plonger Ariadne. Ce n’était pas le quartier lui-même qui le gênait ; c’était l’endroit où ils se rendaient dans ce quartier. C’était une chose de choisir de se prostituer, c’en était une autre d’y être forcé.
Michail, l’homme qu’ils allaient voir, for?ait les hommes, les femmes et les enfants.
Dionysos et les Ménades travaillaient depuis plusieurs années à démanteler certains aspects de son organisation, et pour ce faire, il avait fallu établir un lien avec le mortel. ? ce stade, Dionysos le connaissait plut?t bien et le détestait violemment, mais s’il comptait sauver les nombreuses femmes que le mortel avait envoyées aux quatre coins de la Nouvelle Grèce et dans les ?les au-delà, il devait le supporter.
Il se gara à un kilomètre du quartier qui s’étendait sur une colline. Ariadne descendit de la moto et enleva son casque avant d’agiter ses cheveux. Dionysos se dépêcha de détourner les yeux, souffrant encore d’une douloureuse érection.
— C’est quoi, le plan ? demanda-t-elle.
— Les Ménades m’ont dit que Méduse avait séjourné à la Maison Jouvencelle. On ne sait pas où elle est partie, car ce maquereau ne tient aucun registre de ceux qui entrent et sortent de chez lui, y compris de ses travailleurs.
— Ce n’est pas légal, dit Ariadne.
— Je sais.
La prostitution n’était pas illégale ni mal vue à Nouvelle Athènes, et de nombreuses initiatives avaient permis de protéger les droits des travailleurs du sexe. Hélas, le combat pour leurs droits avait fait augmenter le trafic du sexe ainsi que le nombre de bordels du même genre que la Maison Jouvencelle.
La bouche d’Ariadne se pin?a.
— Comment elle a atterri dans ce bordel ? demanda-t-elle. Est-ce qu’on le sait ?
— On pense qu’elle a d? être ramassée dans la rue.
?a n’avait pas d? être simple. Quelqu’un avait d? apprendre à la conna?tre et obtenir sa confiance avant de la trahir.
Ariadne ne répondit rien, sans doute parce qu’elle savait très bien comment fonctionnait ce milieu.
Ils avancèrent dans le quartier bondé et se mêlèrent à la foule. Dionysos ne s’inquiétait pas de se fondre dans la masse, car on le voyait souvent ici, et c’était un dieu adulé par ce public. Chaque année durant les Apokries et les Dionysies, il organisait une fête sur la place du quartier, où des gens de toute la Nouvelle Grèce venaient baiser les uns avec les autres en public.
Ce qui l’inquiétait le plus, c’était Ariadne qui connaissait également ces fêtes et la folie qu’elles encourageaient.
Ils arrivèrent sur la place, où était érigé un pilier doré sur lequel étaient gravées des scènes érotiques. ? son pied se trouvait le tr?ne sur lequel il s’asseyait pour propager sa magie.
— Je ne comprends pas, dit-elle. Tu utilises ta magie pour organiser des orgies sur cette place, mais en dehors de ?a, tu…
Dionysos la fusilla du regard, la prévenant de ne pas finir sa phrase. Il n’avait vraiment pas besoin que cette détective loquace foute en l’air tout ce qu’il s’était acharné à accomplir ici.
— Pourquoi ? demanda-t-elle.
— Le sexe consensuel n’est pas forcé. Tu devrais le savoir mieux que quiconque. Ceux qui viennent sur cette place veulent baiser, et ils se fichent de savoir avec qui.
— Je ne viens pas pour baiser, dit-elle.
— Peut-être que tu devrais, répondit-il. Tu serais peut-être un peu moins insupportable.
Elle lui lan?a un regard assassin et se pin?a la bouche, mais son silence ne dura pas longtemps.
— Est-ce que tu y participes ? demanda-t-elle.
— Pourquoi ?
— Je me demandais, c’est tout, dit-elle en fuyant son regard.
— Je suppose que ?a dépend de ce que tu entends par ? participer ?.
— Quelle autre définition y a-t-il ?
— Quand on parle de ces fêtes, ?a veut tout dire et rien dire à la fois. Est-ce que je danse ? Est-ce que je chante ? Est-ce que je…
— Est-ce que tu baises avec des inconnus, Dionysos ? aboya Ariadne, clairement agacée.
Il ricana d’un air triomphant, mais cela ne dura que quelques instants, car il comprit combien elle était frustrée.
— Non, dit-il enfin. Du moins… pas depuis longtemps.
Un silence étrange et gênant s’abattit sur eux et ils ne se parlèrent plus jusqu’à ce qu’ils arrivent à la Maison Jouvencelle, un immeuble de deux étages sans fenêtres.
Avant d’entrer, Dionysos se tourna vers Ariadne.
— J’ai besoin de savoir si ?a va aller, dit-il. Si… je peux te toucher.
Elle l’étudia longuement.
— Si ?a permet de trouver Méduse et de sauver ma s?ur, je suis prête à tout.
Il hocha la tête.
Ils entrèrent dans le bordel et se retrouvèrent aussit?t dans le noir. Immédiatement, Dionysos tendit la main pour prendre Ariadne par la taille et l’attirer contre lui afin de chuchoter dans son oreille.
— Même si tu en meurs d’envie, dit-il, je te demanderai de ne pas ouvrir la bouche.
Il imaginait très bien le regard meurtrier qu’elle devait lui lancer. Il pouvait sentir sa colère, mais il fut surpris qu’elle ne le repousse pas. En revanche, elle planta ses ongles dans son bras.
— Dionysos ! Mon dieu préféré ! lan?a Michail en s’avan?ant vers eux, impeccable comme toujours dans son costume.
C’était un homme plus ?gé, aux cheveux clairsemés qu’il coiffait en arrière pour cacher sa calvitie.
Dionysos lui serra la main et lui offrit une accolade.
— Et qui est cette… ravissante créature ? demanda Michail.
Dionysos se tourna vers Ariadne, s’attendant à la voir grimacer d’être traitée de créature, mais elle s’était transformée et affichait un sourire mielleux.
— Je te présente… Phèdre, dit-il, regrettant aussit?t d’avoir choisi ce nom, surtout quand il vit le sourire d’Ariadne menacer de dispara?tre.
— Phèdre, ronronna Michail. Comme tu es belle ! Je ne savais pas que tu embauchais des héta?res, Dionysos.
— Ce n’est pas le cas, répondit le dieu.
— Ah. Alors…
— Il n’a pas besoin de me payer, dit Ariadne. Je… j’aime sa compagnie.
Michail sourit.
— Quel chanceux ! Venez, venez, le spectacle va commencer.