— ?a implique que nous avons ta bénédiction ? dit Perséphone. Pour nous marier, précisa-t-elle.
Zeus rit à nouveau d’un ton ennuyé qu’il s’effor?a de cacher en l’exagérant.
— Ce n’est pas à moi de le décider, ma chère. Mon Oracle prendra la décision.
— Ne m’appelle pas ma chère, répondit Perséphone.
— C’est un simple mot, répondit-il d’un ton dénué d’humour. Je ne voulais pas t’offenser.
— Je me fiche de tes intentions, rétorqua Perséphone. Ce mot m’offense.
Un silence assourdissant s’abattit sur l’assemblée. Hadès avait beau savourer cet échange, il se rapprocha néanmoins de Perséphone. Il connaissait bien la colère de Zeus, et rien ne la déclenchait plus vite qu’un acte de défiance. Mais son frère finit par éclater de rire.
— Hadès, ton joujou est un peu trop sensible.
Hadès ne sut quel mot l’aga?a plus : joujou ou sensible. Mais peu importe. Perséphone était sa reine, et Zeus lui avait manqué de respect.
— Comment tu as appelé ma fiancée ? rugit Hadès en empoignant Zeus à la gorge.
Les yeux de Zeus noircirent comme un ciel orageux, trahissant sa menace envers Hadès. Sans doute n’était-ce pas le geste le plus malin, étant donné qu’Hadès souhaitait la bénédiction de son frère, mais il ne pouvait pas laisser passer cette insulte.
— Fais attention, Hadès. Ton destin est entre mes mains.
C’était Zeus qui décidait si Hadès se marierait, mais même ce point était discutable. Hadès n’était pas opposé à défier Zeus, même si cela entra?nait un ch?timent divin.
— Tu te trompes, frère, gronda Hadès d’une voix sourde. Excuse-toi.
Il serra suffisamment la gorge du dieu pour le sentir déglutir.
— Perséphone, dit-il d’une voix grave et rauque. Excuse-moi.
Elle ne répondit rien, mais Hadès le l?cha.
Les yeux de Zeus étaient rivés sur lui, mais il finit par éclater de rire en levant les bras en l’air.
— Allons festoyer !
*
* *
Ils entrèrent avec le reste de la foule dans la salle de banquet, où plusieurs tables rondes étaient éparpillées. Hadès aurait aimé croire qu’atteindre ce moment de la soirée signifiait qu’ils approchaient de sa fin et que Zeus prendrait bient?t sa décision, mais il savait que ce n’était que le début. Ils allaient devoir endurer cet horrible d?ner ainsi que les festivités qui suivraient. Il était possible, étant donné ce que venait de faire Hadès, que Zeus repousse sa décision à un autre jour, mais son frère avait mérité d’être embarrassé en public.
— Il semblerait qu’on ne soit pas assis ensemble, dit Perséphone en le regardant.
— Comment ?a ?
Elle désigna d’un hochement de tête la longue table placée sur une estrade.
— Je ne suis pas olympienne.
— Tout cela est très surfait, répondit-il. Je m’assois avec toi. Où tu veux.
— ?a ne va pas agacer Zeus ?
— Si.
— Tu veux m’épouser, ou pas ? demanda Perséphone en levant les yeux vers lui.
— Chérie, je t’épouserai, quoi que dise Zeus.
Perséphone resta silencieuse quelques instants pendant qu’ils déambulaient entre les tables.
— Qu’est-ce qu’il fait quand il est défavorable à une union ?
— Il arrange un mariage pour la femme, dit Hadès, mais cela ne se produirait pas dans notre cas.
Il la guida vers l’une des tables au fond de la salle. Il préférait s’asseoir aussi loin que possible des gens et avoir un ?il sur l’entrée. Il recula la chaise et aida Perséphone à s’y asseoir, puis il s’installa à c?té d’elle.
Perséphone sourit à l’homme et à la femme assis en face d’eux, qui n’essayaient même pas de cacher leur terreur.
— Salut, je suis…
— Perséphone, dit l’homme. On sait qui tu es.
— Bien s?r, répondit la déesse d’un ton hésitant, et Hadès admira qu’elle essaie d’être polie. Vous vous appelez comment ?
— Voici Thalès et Callista, dit Hadès. Ce sont les enfants d’Apéliote.
— Apéliote ?
— Le dieu du Vent du Sud-Est, expliqua Hadès.
Il y avait un dieu pour chaque type de vent.
— V… vous nous connaissez ? demanda Callista.
Peut-être ai-je choisi la mauvaise table, pensa-t-il.
— Bien s?r.
— Hadès, qu’est-ce que tu fais ? demanda Aphrodite en s’arrêtant devant leur table.
Hépha?stos se tenait derrière elle, comme une ombre.
— Je m’apprête à manger, répondit Hadès.
— Mais tu es à la mauvaise table, remarqua-t-elle, comme s’il ne le savait pas.
— Tant que je suis avec Perséphone, je suis à ma place.
Aphrodite fron?a les sourcils et Hadès se demanda pourquoi elle s’intéressait à l’endroit où il était assis.
— Comment va Harmonie, Aphrodite ? demanda Perséphone.
— Bien, je suppose. Elle passe beaucoup de temps avec ta copine Sybil.
— Je crois qu’elles sont devenues amies.
— Amies ? répéta Aphrodite avec un sourire pincé. Tu oublies que je suis la déesse de l’Amour ?
Perséphone ne répondit rien et Aphrodite se tourna vers Hépha?stos, qui lui tendit la main pour l’escorter à la table des Olympiens.
— Tu crois qu’Aphrodite est… contre le choix de partenaire d’Harmonie ?
— Tu me demandes si elle y est opposée parce que Sybil est une femme ? Non. Aphrodite pense que l’amour est l’amour. Si Aphrodite est agacée, c’est parce que la relation d’Harmonie implique qu’elle a moins de temps pour elle.
Perséphone se tut quelques secondes et il la vit étudier la déesse.
— Tu crois qu’Aphrodite et Hépha?stos se réconcilieront un jour ?
— On peut l’espérer, oui. Ils sont tous les deux parfaitement insupportables.
Perséphone lui mit un coup de coude, mais Hadès avait l’impression d’observer le désastre qu’était leur couple depuis le tout début de leur mariage. Il ne savait pas ce qui avait mal tourné, mais il s’était passé quelque chose le soir de leurs noces, et ni l’un ni l’autre n’avaient plus jamais été pareils.
Le d?ner apparut enfin quand Zeus daigna les rejoindre. Il avait l’habitude de faire attendre les autres chaque fois qu’une occasion se présentait pour leur rappeler son importance.
Hadès saisit une carafe argentée sur la table.
— De l’ambroisie ? proposa-t-il.
— Pure ? répondit Perséphone d’un ton surpris.
— Juste un peu, dit-il avant de lui en servir un fond et de remplir le sien à ras bord.
Comme tous les alcools, il fallait développer une certaine tolérance, et la sienne était élevée.
— Quoi ? dit-il quand il s’aper?ut que Perséphone le dévisageait.
— Tu es alcoolique.
Techniquement, elle n’avait pas tort, mais l’alcool n’avait pas d’effet sur lui.
— Fonctionnel, répondit-il.
Il regarda Perséphone siroter son ambroisie, puis se lécher les lèvres.
— ?a te pla?t ?
Il approcha son visage du sien, envisageant de l’embrasser pour go?ter l’alcool sur sa langue, mais il n’en fit rien.
Elle le regarda dans les yeux et répondit d’une voix suave.
— Oui.
Callista se racla la gorge et l’interruption aga?a Hadès. Il l’aurait ignorée, mais Perséphone était bien plus polie que lui.