Hépha?stos se crispa des pieds à la tête et Aphrodite plissa les yeux.
— On n’y échappe pas, dit-elle avant de se tourner vers son mari. Il faut en être libéré.
— Ne peux-tu pas forger une arme pour le couper ?
— Rien n’est impossible, répondit Hépha?stos. Mais j’aurais besoin de savoir comment ils ont fabriqué leur filet.
Hadès regarda Apollon. Il ne pensait pas qu’obtenir cette information serait facile. Il regrettait qu’Ariadne n’ait pas voulu les aider contre Thésée. Il était certain qu’elle connaissait ses opérations et, si elle ne savait pas comment les armes étaient fabriquées, elle savait qui s’en chargeait.
— Dans ce cas, il s’agit peut-être de l’arme qui a servi à tuer Tyché, dit-il au dieu de la Musique.
— J’ai d’abord cru qu’elle avait été poignardée avec la faux de Cronos, mais ses plaies ont une forme différente. ?a ressemble plut?t à une flèche, mais une simple flèche n’aurait pas pu tuer un dieu.
— Qu’est-ce qui rend la faux de Cronos aussi dangereuse ? demanda Aphrodite.
— Elle est faite en adamantine, dit Hépha?stos. Mais cette pierre ne fait que blesser, elle ne peut pas nous tuer. La lame qu’a utilisée Tyché devait être… couverte de quelque chose. D’un poison.
Ou d’un venin, pensa Hadès.
— Héraclès faisait couvrir ses flèches de sang d’hydre, dit-il à voix haute.
Avant que l’hydre ne devienne une résidente des Enfers, elle était entre les mains d’Héra. Il se demanda quelle quantité de venin Thésée avait récoltée avant qu’Hadès ne la tue.
— Eh bien, dit Hépha?stos. On dirait que vous n’aviez pas besoin de moi, finalement.
— C’est faux, répondit Hadès. J’ai besoin d’une armure.
— Tu en as une, dit le dieu du Feu.
— Ce n’est pas pour moi. C’est pour Perséphone.
*
* *
Hadès retourna aux Enfers, même s’il angoissait à l’idée de revoir Perséphone. Il ne savait pas trop ce qu’il allait lui dire. Est-ce que l’un des deux serait prêt à parler de ce qui s’était passé ? Il ne se pensait pas capable de verbaliser autre chose que des excuses, qui semblaient inutiles, dans ce cas. Il ne pouvait même pas lui promettre que ?a n’arriverait plus jamais, car il n’avait pas la moindre idée de la fa?on d’y remédier. Peut-être que la seule chose à dire était qu’il ferait mieux ; mais cela ne semblait pas suffisant non plus.
Son c?ur battait bizarrement, ni fort, ni vite, mais de fa?on irrégulière, et cela ne fit qu’empirer quand il trouva Perséphone dans la bibliothèque, assise dans son fauteuil habituel, un livre entre les mains. Elle sentit immédiatement sa présence et leva la tête quand il entra. Hadès se sentit piégé par son regard, incapable de battre en retraite ni même d’avancer. Peut-être était-ce parce qu’elle avait l’air hantée et qu’il savait qu’il en était responsable.
Ils restèrent dans un silence tendu pendant un long moment et Hadès chercha désespérément quoi dire, mais aucune parole ne lui paraissait juste. C’est Perséphone qui finit par parler.
— J’ai vu Tyché aujourd’hui, dit-elle. Elle pense que la raison pour laquelle elle n’a pas pu se guérir est que les Moires ont coupé son fil de vie.
— Les Moires n’ont pas coupé son fil, dit-il simplement.
Les Moires n’avaient jamais coupé le fil de vie d’un dieu, à l’exception de Pan. Même ceux qui étaient au Tartare n’étaient pas morts, mais simplement emprisonnés.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— La Triade a réussi à trouver une arme qui peut tuer les dieux, dit-il.
— Tu sais ce que c’est, c’est ?a ?
— Je n’en suis pas s?r, répondit-il, hésitant à se prononcer tant qu’ils n’avaient pas une flèche entre les mains pour le prouver.
Cependant, c’était une bonne piste.
— Dis-moi.
— Tu as vu l’hydre, dit-il. Par le passé, elle a été utilisée dans plusieurs batailles et a perdu plusieurs têtes, mais elle se régénère. Ses têtes ont une valeur inestimable, car son venin est utilisé comme poison. Je crois que Tyché a été neutralisée par une nouvelle version du filet d’Hépha?stos, et poignardée avec une flèche empoisonnée au sang de l’hydre. Une relique, pour être plus précis.
— Une flèche empoisonnée ?
— C’étaient les armes biologiques de la Grèce antique. ?a fait des années que j’essaie de retirer ce genre de relique de la circulation, mais elles sont nombreuses et il existe des réseaux entiers dédiés à les trouver et à les revendre. Je ne serais pas surpris que la Triade ait réussi à mettre la main sur quelques-unes d’entre elles.
— Tu m’avais dit que les dieux ne pouvaient mourir que s’ils étaient jetés au Tartare et déchiquetés par les Titans.
— En général, oui, admit Hadès. Mais le venin de l’hydre est puissant, même pour les dieux. Il ralentit notre guérison et il est probable que si un dieu est poignardé suffisamment de fois…
— … il meure.
Hadès acquies?a.
— Je crois qu’Adonis a également été tué par une relique.
Il hésitait à lui faire part de cette information maintenant, alors qu’il la détenait depuis si longtemps.
— Par la faux de mon père, ajouta-t-il.
— Qu’est-ce qui te fait croire ?a ?
Il aurait d? lui dire qu’ils avaient trouvé un morceau de lame dans le corps d’Adonis, mais Hadès ne voulait pas que l’on sache qu’il l’avait donné à Hépha?stos pour qu’il forge une nouvelle arme. Non pas qu’il croie que Perséphone le divulguerait, mais il craignait trop que quelqu’un tente de lui soutirer l’information.
— Parce que son ?me a été brisée.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
— Je suppose que j’attendais d’être en état de t’en parler. Voir une ?me brisée n’est pas facile, et ?a l’est encore moins de la porter jusqu’aux Champs ?lysées.
Hadès baissa les yeux sur son livre, gêné par leur conversation, même si elle était préférable aux autres options.
— Qu’est-ce que tu lis ?
— Je cherchais des informations sur la Titanomachie.
— Pourquoi ?
— Parce que… je crois que ma mère a un objectif plus grand que notre séparation.
Hadès le savait déjà, mais il devait admettre qu’il ne comprenait pas trop ses raisons. Son objectif semblait aller au-delà de son premier souhait de le séparer de Perséphone, en effet ; elle paraissait vouloir mettre fin au monde.
Chapitre XXXVIII
Hadès
Hadès partagea sa journée entre l’Iniquité et Nevernight. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas concentré sur des affaires quotidiennes, or il y avait des marchés à conclure et des contrats à établir. Après toutes ces années à occuper ce poste, Hadès savait que s’il y avait une certitude dans ce monde, c’était la nature prévisible des désirs des dieux et des mortels. Peu importait que la menace d’une guerre plane au-dessus de leur tête, ils chercheraient toujours l’amour, la richesse et le pouvoir.