— Elle est jolie, dit Silène.
Sa remarque ne fit qu’agacer Dionysos de plus belle. Ariadne n’était pas seulement jolie. Elle était sublime, et il était à nouveau frappé par sa beauté chaque fois qu’il regardait son visage ; il la sentait chaque fois qu’il entrait dans une pièce où elle se trouvait.
— Elle me déteste, dit Dionysos.
— Parce que, pour le moment, elle n’a rien trouvé à aimer, dit Silène.
— Peut-être que je n’ai pas envie qu’elle m’aime.
— Ta queue dit l’inverse.
— Ne regarde pas ma queue, gronda Dionysos. C’est bizarre.
— Une queue ne ment jamais, dit son père adoptif. Elle te pla?t.
— Je veux la baiser. Elle ne me pla?t pas, rétorqua Dionysos.
— ?a m’a tout l’air d’être le début parfait d’une relation.
— Ouais, une relation malsaine.
— Tu as envisagé de… je ne sais pas… d’en faire autre chose qu’une de tes Ménades ?
— Je ne peux rien faire d’elle du tout, Silène.
— Bien s?r que si. Tu as déjà fait d’elle une prisonnière.
— Pour la protéger.
Qu’elle en ait conscience ou pas, d’ailleurs. Au départ, il l’avait kidnappée et emmenée à Bakkheia parce qu’il la soup?onnait de servir de distraction pour qu’Héra et Thésée puissent lui prendre les Grées. Or, si c’était bien le cas, elle lui avait également avoué qu’elle avait seulement décidé de le faire une fois qu’elle l’avait rencontré et qu’elle l’avait trouvé insupportable.
Il grin?a des dents.
— Alors tu tiens à elle, dit le satyre.
— Elle n’est qu’un moyen d’arriver à mes fins, Silène.
— Eh bien, si c’est le cas, espérons que cette fin sera sur ta queue.
*
* *
Dionysos sortit de sa suite et prit l’ascenseur jusqu’au sous-sol, qui était loin d’être une simple cave. Le mérite revenait aux Ménades, qui l’avaient transformé en une mini-ville composée d’un vaste réseau de tunnels les reliant à divers endroits de Nouvelle Athènes. Là, elles espionnaient, tuaient et construisaient une nouvelle vie sur les cendres de leur passé.
C’était tout le contraire de ce à quoi Ariadne s’était attendue, c’est-à-dire que Dionysos dirigeait un réseau de trafic sexuel. Ce n’était pas la première fois que quelqu’un accusait Dionysos d’un comportement aussi affreux, mais le fait que cela vienne d’elle l’avait vraiment agacé, en plus d’insulter le travail des Ménades qui passaient la majorité de leur temps à sauver d’autres jeunes femmes pour leur éviter des destins semblables à ceux auxquels elles avaient échappé.
Le dieu de la Vigne ne savait pas pourquoi cela le dérangeait autant.
Les Ménades seraient moins efficaces si leur secret était divulgué, et le fait que le monde extérieur à son territoire le soup?onne d’être impliqué dans un trafic de sexe était souvent à son avantage. Cela signifiait que les gens qui cherchaient ce genre de services venaient à lui pour établir les connexions, devenant ainsi une cible pour ses tueuses.
C’était un travail laborieux et dangereux… et pour une raison qu’il ignorait, le fait qu’Ariadne ait supposé le pire l’avait vexé. Pourtant, il n’aurait pas d? en prendre ombrage. Cela ne faisait que quelques semaines qu’il la connaissait, mais c’était comme s’il l’avait déjà dans la peau et qu’elle cherchait à s’y enfoncer davantage encore.
Parfois, quand il était près d’elle, il avait l’impression qu’Héra l’avait à nouveau frappé de folie.
Quand la porte de l’ascenseur s’ouvrit, il avan?a sur la plateforme métallique qui surplombait la pièce de vie principale des Ménades. Celle-ci était vaste, afin de pouvoir accueillir les nombreuses femmes qui les avaient rejointes au fil du temps, même si toutes ces tueuses n’habitaient pas ici. Il s’attendait à trouver la pièce vide à cette heure avancée de la nuit, mais quelques Ménades étaient encore réveillées et alertes, se tenant les bras croisés, les yeux levés vers le plafond où de gros conduits en métal et des lumières vives étaient accrochés. Certaines avaient l’air frustrées, d’autres agacées, et certaines autres encore avaient l’air amusées. Dionysos savait qu’elles tendaient l’oreille.
Le dieu du Vin soupira, car il savait ce qu’elles écoutaient : Ariadne essayait encore de s’échapper. Il secoua la tête et avan?a jusqu’au bord de la plateforme, se demandant depuis quand elle était dans le conduit d’aération et quand elle avait arrêté de bouger ; sans doute dès qu’il était arrivé. Elle devait probablement bougonner contre lui en ce moment même, mais il était certain qu’elle le ferait patienter aussi longtemps que possible.
Il entendit alors un petit éternuement et concentra son pouvoir à cet endroit. Les vis sortirent de leurs trous et la structure se plia. Ariadne poussa un cri aigu en tombant du conduit et elle atterrit par terre. Dionysos s’inquiéta un instant qu’elle se soit fait mal en tombant, mais elle roula sur les fesses et le fusilla du regard.
Elle était vêtue d’un jean troué et d’un tee-shirt moulant ainsi que d’un blouson en cuir, et ses longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules. Elle était sublime, même quand elle était furieuse ; ce qui était tout le temps le cas en ce qui concernait le dieu du Vin.
— Partez, ordonna-t-il, et les Ménades disparurent derrière l’une des arches, le laissant seul avec Ariadne.
Il la dévisagea longuement avant de descendre l’escalier. Il se dirigea vers elle, et elle se leva d’un bond et épousseta ses vêtements en grima?ant.
— Où as-tu mal ? demanda-t-il.
Elle se figea et lui lan?a un regard assassin.
— Si tu t’inquiétais de me blesser, tu aurais d? réfléchir à deux fois avant d’utiliser tes pouvoirs contre une mortelle.
— Je ne les ai pas utilisés contre toi.
— Alors on n’a pas la même définition de la chose.
— Si tu comptes essayer de t’échapper, tu pourrais au moins accepter ma proposition de t’entra?ner. Peut-être que comme ?a, tu réussiras.
— Je suis entra?née, rétorqua-t-elle.
— Ouais, pour interroger des suspects et tirer avec une arme, dit-il. Quels talents utiles contre les dieux…
Elle arma son bras pour lui mettre un coup de poing. Le dieu se demanda si elle voulait lui prouver ce dont elle était capable ou si c’était une réaction instinctive de colère, il saisit son poing avant-même qu’elle ne puisse le diriger sur lui.
Son cri de douleur le surprit et il la l?cha aussit?t. Elle prit son poignet droit dans sa main et le tint contre sa poitrine.
— Laisse-moi voir ta main, ordonna-t-il.
— ?a va, ce n’est rien.
— Pour l’amour des dieux, Ariadne, laisse-moi regarder !
Elle contracta sa m?choire et il soutint son regard quand elle tendit le bras. Il n’avait pas l’air cassé, et lorsqu’il posa sa paume sur son poignet, l’énergie qu’il y trouva confirma ses doutes.
— Tu t’es fait une entorse, dit-il.
— Tu veux dire que tu m’as fait une entorse, rétorqua-t-elle.