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Le dieu de la Mort quitta le champ et se manifesta dans son bureau à Nevernight. Dès qu’il apparut, un lourd silence se fit et il regarda ceux qui étaient réunis dans la pièce : Ilias, Zofie, Dionysos et… Hermès.
Hadès fixa le dieu de la Ruse qui était affalé sur son fauteuil, les pieds sur son bureau. Leurs regards se croisèrent et un sourire gêné s’étira sur le visage doré d’Hermès. Hadès fron?a les sourcils et montra les dents, poussant le dieu à se lever à la h?te.
— Je réchauffais ta place, se défendit Hermès.
Hadès le fusilla du regard et s’installa. Le siège était chaud, en effet, et il grima?a de plus belle.
— Le roi des Morts mérite ce qu’il y a de meilleur, ajouta Hermès en souriant joyeusement tout en s’approchant du bureau en obsidienne pour s’y asseoir.
— Si l’une de tes fesses effleure ne serait-ce qu’un millimètre de ce bureau, Hermès, je le transforme en lave, dit Hadès en le foudroyant du regard.
— Ce n’est pas comme si j’étais nu ! Mais tu sais quoi ? Le canapé est bien plus confortable, dit-il en se perchant sur l’accoudoir.
Hadès se concentra sur les autres, et en particulier sur Dionysos qui se tenait en retrait, sans doute parce qu’il ne souhaitait pas faire partie de ce groupe. Il était habillé de fa?on beaucoup plus décontractée que d’habitude, en pantalon noir et pull beige. Ses cheveux épais étaient attachés sur la nuque et il croisait les bras. Il avait l’air contrarié, mais Hadès supposa que c’était moins parce qu’il avait été convoqué à Nevernight qu’à cause d’Ariadne Alexiou, la détective mortelle qu’il abritait dans son club.
Hadès était surpris qu’il soit venu, même si ce n’était que par curiosité. Dionysos entretenait une relation compliquée avec les Olympiens, notamment à cause de la haine qu’Héra lui vouait, et qui était la raison pour laquelle le dieu de la Vigne avait enfin décidé de choisir un camp. Pourtant, Hadès n’était pas dupe. Il savait que cela n’impliquait pas que Dionysos soit loyal envers lui. Le dieu de la Folie n’était loyal qu’envers lui-même.
— L’Ophiotauros a été ressuscité, dit Hadès. Sa constellation n’est plus dans le ciel.
Une touche d’appréhension accompagnait ses propos maintenant qu’il les exprimait à voix haute, et Hadès ne s’y attendait pas. Il était responsable de la situation, ce qui signifiait qu’il serait également responsable des conséquences si la créature tombait entre les mauvaises mains.
— Ilias, dit-il en regardant le satyre dont les cornes dépassaient de ses cheveux bouclés. Dis-nous ce que tu as découvert au sujet du monstre.
— Pour l’instant, il n’a été vu qu’une fois. Un fermier près de Thèbes a dit avoir entendu un cri étrange au milieu de la nuit. Il a cru qu’une de ses vaches était blessée, mais quand il est sorti, il a trouvé une créature mi-taureau mi-serpent enroulée autour de la bête. Elle a disparu dans le champ quand elle a vu le fermier, expliqua Ilias avant de marquer une pause et de regarder tous ceux qui étaient réunis. La vache n’a pas survécu.
Il y eut un court silence.
— Le fermier non plus, dit Hadès.
La m?choire d’Ilias se crispa.
— Il allait très bien hier.
— Et aujourd’hui, il est mort, répondit Hadès. Criblé de balles.
— Alors quelqu’un d’autre que nous veut la créature, dit Dionysos. Ce n’est pas étonnant, mais qui est-ce ?
— C’est là toute la question.
Hadès dévisagea le dieu de la Vigne, même s’il ne le soup?onnait pas d’être impliqué dans la mort du fermier, le dieu de la Mort savait qu’il aimait collectionner les monstres autant que Poséidon. C’était l’une des raisons pour lesquelles il préférait garder un ?il sur lui, malgré leur alliance nouvelle et fragile.
Dionysos plissa les yeux.
— Comment a-t-il pu être ressuscité, Hadès ? demanda-t-il.
Le dieu de la Mort n’aima pas le ton accusateur du dieu du Vin, mais Hadès n’était pas comme lui, il ne fuirait devant pas ses responsabilités.
— Parce que j’ai tué un immortel.
Les traits sévères de Dionysos s’adoucirent, mais ce n’était pas par sympathie, il était choqué.
— C’est l’?uvre des Moires, dit Hadès.
— Alors tu nous as convoqués pour que l’on gère les conséquences de tes actes, dit Dionysos d’un ton lourd de dédain. Comme toujours.
— Ne fais pas mine d’être meilleur que nous, Dionysos, dit Hadès. Je sais combien tu aimes les monstres.
Hadès aurait pu essayer de s’expliquer. Il savait que le dieu détestait Héra et qu’il lui suffirait de lui parler de son implication pour apaiser le jugement de Dionysos, mais en vérité, il lui semblait que cela n’avait pas d’importance. Dionysos tenait à être là, et il voulait l’Ophiotauros, ce qui signifiait qu’il le chercherait même s’il ne souhaitait pas aider Hadès directement.
— Si c’est l’?uvre des Moires, dit Zofie, ne peux-tu pas leur demander ce qu’elles ont tissé ?
— Les Moires sont des déesses comme moi, dit Hadès. Elles sont aussi susceptibles de me faire part de leur plan que je le suis d’admettre les miens.
— Mais ce sont les Moires. Est-ce qu’elles ne le savent pas déjà ?
Hadès ne répondit pas. Il lui arrivait de trouver la na?veté de Zofie charmante, mais ce soir, il la trouvait aga?ante.
Il était difficile d’expliquer comment les Moires opéraient. Beaucoup de leurs décisions dépendaient de leur humeur. Il était possible qu’elles aient orchestré la résurrection de l’Ophiotauros pour agacer Hadès, mais peut-être aussi parce qu’elles voulaient voir la fin du règne des Olympiens. Hadès ne savait laquelle de ces options était juste ni si elles l’avaient elles-mêmes décidée. Il savait seulement une chose : le destin ne pouvait pas être évité, seulement repoussé.
— Quel que soit leur plan, nous devons en avoir un, nous aussi, dit-il.
— Je ne comprends pas, dit Zofie. Les Moires ont déjà choisi une fin. Alors que cherchons-nous ?
— ? gagner, dit Hadès.
C’était tout ce qu’ils pouvaient faire, et espérer que si les Moires n’avaient pas choisi de leur accorder leur Faveur, à lui et aux Olympiens, elles pouvaient être influencées ; mais cela n’arriverait jamais sans qu’ils agissent. Il savait mieux que quiconque que les trois s?urs prenaient plaisir à jouer avec les dieux, surtout quand cela se faisait dans la douleur.
Il y eut un silence, puis Dionysos prit la parole.
— Quelle est la prophétie qui rend cette créature aussi dangereuse ?
Il ne pouvait pas le savoir, puisqu’il était né après la Titanomachie.
— Quiconque br?le ses entrailles obtiendra le pouvoir de vaincre les dieux, dit Hermès.
— Tu es s?r que c’est ?a ? demanda Dionysos en haussant un sourcil.
— Peut-être que ce n’est qu’un seul dieu ? répondit Hermès avant de hausser les épaules. J’ai peut-être mal compris un mot ou deux.