La saga d'Hadès - Tome 01 : A game of fate

L’odeur musquée de sueur se mélangeait à celle de la drogue qui pénétrait par les conduits d’aération, lui piquant le nez.

Il était habitué aux sons, aux odeurs, au sexe. Cela faisait partie de la culture qui s’était formée autour du culte qu’il avait mené de ville en ville avec les Ménades, laissant une tra?née de sang sur leur passage, et s’il avait désiré cette vie d’abandon, il ne serait jamais réellement libéré de la folie dont Héra l’avait affligé.

De temps en temps, il la ressentait encore. C’était un frémissement subtil et chaud qui envahissait son corps et lui donnait l’impression d’être transpercé par des centaines d’aiguilles. Il lui était alors impossible de rester en place et de trouver le repos.

Rien que d’y penser, ses doigts se mirent à trembler. Il serra les poings et retint sa respiration, espérant dominer la sensation avant qu’elle ne remonte dans son dos et pénètre ses veines, avant qu’elle ne le consume à nouveau. Pendant qu’il se concentrait, il prit conscience d’un bruit, quelque part dans sa suite.

C’était un gémissement essoufflé.

Il tourna le dos à la vitre qui surplombait la piste du club et scruta la pénombre, mais il ne vit personne.

Le bruit augmenta, accompagné d’un autre, comme un coup frappé contre un mur.

Dionysos traversa la pièce vers le placard derrière le bar. Il colla son oreille à la porte recouverte du même velours noir que les murs. Quand il fut certain que les bruits provenaient de là, il ouvrit la porte.

Il y trouva Silène, avec une femme qu’il ne reconnut pas. Le satyre était adossé contre un mur, la femme le chevauchait, les jambes autour de sa taille.

— Merde ! s’exclama Silène, et ils se figèrent.

— Nom de dieux, Papa ! cracha Dionysos.

Silène éclata de rire, à bout de souffle.

— Ah, Dionysos, ce n’est que toi.

Ce n’était pas la première fois qu’il surprenait Silène en plein acte sexuel. Le satyre avait intégré son culte après avoir été condamné à arpenter la terre. Ils avaient passé des journées entières dans des orgies, donnant et recevant du plaisir dans un acte de vénération. Au fil des années, cela avait dérangé Dionysos de voir cela chez celui qu’il considérait comme une figure paternelle.

Il ferma brusquement la porte et saisit une bouteille de vin derrière le bar pour se servir un verre. Alors qu’il buvait sa première gorgée, la porte s’ouvrit de nouveau et la femme sortit en titubant.

Elle se racla la gorge et coiffa ses cheveux derrière son oreille.

— Pardon, Lord Dionysos, je ne voulais pas…

— Il n’y a aucune raison d’être désolée, s’empressa-t-il de répondre en la regardant et en buvant une autre gorgée. Partez maintenant.

Elle inclina la tête et s’en alla. Un rai de lumière vive provenant du couloir fendit la pénombre quand elle sortit de la suite.

Silène apparut à son tour.

— Je ne savais pas que tu étais rentré, dit-il.

Dionysos lui tournait le dos et entendit le tintement de sa ceinture alors qu’il se rhabillait.

— Depuis quand tu es dans ce placard ? demanda-t-il.

— Je ne sais pas, en fait, admit le satyre après une courte pause.

Dionysos haussa un sourcil et étudia son père adoptif.

— Alors comment savais-tu que j’étais parti ?

— Je sais toujours que tu es parti, dit Silène, parce que j’ai enfin l’impression de pouvoir respirer.

— Sympa, dis donc, grommela Dionysos pendant que Silène le rejoignait au bar.

Le satyre faisait une tête de moins que lui, mais il était plus grand que tous les satyres que Dionysos avait rencontrés. C’était sans doute parce que Silène n’était pas seulement un esprit de la nature. Il était un dieu de la nature. Il était même différent, physiquement, des autres membres de son espèce. Dionysos avait vu des satyres avec des pieds et des queues de cheval ou de chèvre, mais Silène avait les longues oreilles d’un ?ne et une queue assortie. Cela dit, il cachait cette forme derrière son Charme.

— Tu ne m’avais jamais reproché mon honnêteté, dit Silène en se servant un verre de vin, qu’il but comme si c’était de l’eau.

C’était tout à fait lui ; il était le dieu de l’Ivresse et c’est pour cela qu’ils avaient formé une si bonne paire pendant longtemps, quand leurs vies ne tournaient qu’autour de la fête.

— Tu veux que je cesse d’être sincère ?

Silène termina son verre et le reposa bruyamment sur le bar.

— Dionysos, même toi, tu sais de quoi je parle, dit le satyre.

— Si tu comptes étaler ta sagesse, tu ferais mieux d’être bien plus saoul que tu ne l’es.

— Ce n’est pas de la sagesse, c’est la vérité. Tu es devenu insupportable.

— Pourquoi ? Parce que je ne fais plus la fête avec toi ?

— C’est l’une des raisons, c’est vrai, dit le satyre, mais c’est plus que ?a. Tu le sais parfaitement.

Dionysos s’éloigna du comptoir et se pencha vers son père adoptif.

— Mais je t’en prie, dis-moi.

— Tu ne t’amuses pas, dit Silène. Du tout. ?a fait combien de temps que tu ne t’es pas l?ché ?

Dionysos grin?a des dents.

— Je ne suis plus la même personne que j’étais par le passé, Silène.

— Personne ne l’est, dit le satyre. Mais ?a ne veut pas dire que tu ne peux pas profiter de la vie, puisqu’on doit bien la vivre.

— Ce n’est pas toi qui disais qu’il valait mieux ne pas vivre du tout, et que si l’on y était forcé, il valait mieux mourir rapidement ?

— Eh bien, tu n’es pas encore mort, alors pourquoi tu ne t’amuses pas un peu ?

Dionysos leva les yeux au ciel et sortit de derrière le bar.

— Tu ne peux pas continuer comme ?a, dit Silène. Tu la laisses avoir trop de pouvoir sur toi.

Dionysos se tourna vers lui.

— Si tu comptes parler de ?a, tu pourrais au moins dire son nom.

Silène le dévisagea.

— Cette quête de vengeance t’a… transformé.

— Tu n’as jamais envisagé que c’est peut-être comme ?a que je suis ? demanda Dionysos. Et que la personne que tu as rencontrée il y a toutes ces années, celle qui te manque tant, avait été créée par Héra ?

Silène se mit à secouer la tête.

— Non, je ne le crois pas.

— Tu ne le crois pas parce que tu ne veux pas le voir.

— Je refuse de le croire !

Ils parlaient en même temps, à voix haute, d’un ton véhément, et quand ils finirent par se taire, un silence désagréable s’étira entre eux. Silène fut le premier à le rompre.

— Je veux te voir trouver le bonheur, dit-il avant de soupirer en caressant ses cheveux fins et grisonnants. Même si tu n’en trouves qu’un tout petit peu.

— Peut-être que je ne suis pas fait pour le bonheur, dit le dieu de la Vigne.

— C’est un choix, Dionysos, gronda Silène.

— Alors je choisis la vengeance, rétorqua Dionysos. Et je continuerai de la choisir tant que je ne l’aurai pas obtenue.

— Et la fille ? demanda le satyre.

Dionysos se crispa en entendant parler d’Ariadne.

— C’est une femme, pas une fille. Et qu’est-ce qu’elle a ?

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