Le message des Moires avait été clair : il n’y avait pas de manière simple de mettre fin à la guerre.
La situation était différente, cette fois, et les Moires cherchaient peut-être à entamer une nouvelle ère plus vite. Cependant, Hadès ne pouvait qu’essayer de deviner leurs motivations. Il serra les poings, sentant qu’il perdait le contr?le de la situation. C’était le pire, lorsqu’on traitait avec les Moires.
Leur futur était définitif.
Cependant, cela ne signifiait pas qu’Hadès n’essaierait pas de le contr?ler. Il protégerait les quelques personnes dont il était le plus proche, et par-dessus tout Perséphone.
Si elle le laissait faire.
Hadès se manifesta dans une clairière entourée de bois et il fut immédiatement assailli par l’odeur oppressante de la magie de Déméter. Elle l’écrasait comme un poids immense sur son dos et il sentit son corps se recroqueviller sur lui-même. Le seul répit provenait de la magie de Perséphone, un effluve sucré qui appelait son ?me.
Quelque chose craqua sous ses pieds et, lorsqu’il baissa la tête, il vit des éclats de verre au milieu des carex et des digitales en fleur, poussant dans un parterre verdoyant qu’Hadès ne fut pas surpris de trouver épargné par l’hiver qui ravageait Nouvelle Athènes.
Son regard se posa sur les ruines d’une orangerie d’où provenait la magie de Perséphone. Sa magie primitive, d’ailleurs, car ce qui sortait de terre ressemblait à un tronc noir étrange, avec de longues branches qui s’enroulaient autour de la structure métallique de l’orangerie et, sous elles, les fleurs de Déméter, des prisonnières qui s’étaient trouvées à sa merci et n’en avaient trouvé aucune.
Il comprenait, maintenant, d’où venait le verre cassé.
Il se demanda à quel moment Perséphone était venue détruire sa prison de cristal et il fut brièvement émerveillé par le chemin qu’elle avait parcouru. Alors que la vie qu’elle créait à ses débuts imitait la mort, les fleurs jaillissaient désormais sur son passage.
Hadès avan?a, faisant craquer les débris de verre qui résonnèrent comme le tonnerre dans le silence de la clairière. Il était parfaitement conscient de ne pas être seul et sentit des regards sur lui. Il n’était pas surpris que les êtres vivants aient fui la clairière de peur.
Il se tourna et étudia la lisière des arbres.
— Je sais que vous êtes, là, dit-il. Sortez !
Ses mots n’eurent aucun effet.
— Sortez, ou je viendrai vous chercher.
Ce n’était pas une menace en l’air. Il savait exactement où les nymphes s’étaient réfugiées. Il y avait une rivière, derrière les arbres, et elles l’observaient depuis les berges.
C’étaient des na?ades, comme Leucé.
Il attendit, faisant preuve de bien plus de patience qu’elles ne méritaient.
— Lady Déméter t’assassinera, dit l’une.
— Elle te changera en oiseau, comme elle a toujours menacé de le faire, dit une autre. Et elle nous forcera à quitter notre maison et à aller vers la mer.
— Il ne nous fera pas de mal, rétorqua une autre. Il aime Lady Perséphone.
— Ce n’est pas sa colère que nous craignons, répondit une autre.
Hadès soupira et disparut de la clairière pour appara?tre sur la berge de la rivière, où cinq nymphes étaient rassemblées. Elles étaient à moitié dans l’eau et elles grattaient la terre à main nue, le visage caché dans l’herbe haute.
Quand elles virent Hadès, elles poussèrent un cri et auraient sans doute fui s’il ne les avait pas maintenues en place gr?ce à son pouvoir.
— L’une d’entre vous va me dire ce que vous savez de votre ma?tresse, dit-il.
Elles se mirent à trembler.
— On ne sait rien de notre ma?tresse, Milord, dit celle avec des cheveux de la couleur des reflets du soleil dans l’eau.
Elle ne mentait pas.
— Quand était-elle ici pour la dernière fois ? demanda-t-il.
— C’était il y a un moment, répondit une autre, dont les cheveux étaient assortis à l’eau sombre de la rivière. Quand Perséphone est partie.
— Partie pour le monde des mortels ?
— Non, quand l’orangerie a été détruite.
— Et vous n’avez aucune idée d’où peut être votre ma?tresse ?
Toutes les cinq secouèrent la tête.
Hadès les étudia un moment.
— J’ai besoin que vous la trouviez.
Elles écarquillèrent les yeux et p?lirent brusquement.
— Milord, elle saura ! dit l’une, qui avait les cheveux rouges comme les deux autres.
Toutes les cinq portaient des couronnes de lys.
— Nous serons toutes punies, dit celle aux cheveux noirs. Tu nous demandes de mourir pour toi !
Hadès pencha la tête sur le c?té et plissa les yeux.
— Tu mourras pour moi de toute fa?on, Hercyna, dit-il. La seule incertitude est la fa?on dont tu mourras.
— Ne lui fais pas peur ! aboya la blonde en saisissant Hercyna par le cou pour écraser sa tête contre sa poitrine.
— Je n’y peux rien si vous craignez la mort, dit Hadès. C’est pourtant la vérité de toute existence.
— Lady Déméter avait raison à propos de toi, siffla la blonde. Tu ne te soucies que de toi-même !
— Si tu savais ce qui m’a poussé à venir dans cette clairière, tu ravalerais tes propos, répondit Hadès. Imaginez que je sois venu avec Perséphone et qu’elle soit témoin de votre trahison au profit de sa mère maltraitante.
— Tu ne sais pas ce que c’est ! dit Pisinoé, l’une des rousses. Perséphone le savait ! Elle nous comprendrait !
— Peut-être, répondit Hadès. Mais je ne suis pas Perséphone, et j’ai besoin de savoir où se cache Déméter.
Leur colère lui rappelait celle de Perséphone lors de leur rencontre ; leur opinion de lui était noircie par ce que Déméter avait dit de lui.
— Je vais vous donner une idée de ce que vous devrez affronter si vous ne m’aidez pas, dit Hadès. Vos fontaines et vos puits, vos lacs et vous sources, vos rivières et vos marais gèleront tous. Vous devrez fuir vos maisons, vous et toutes vos s?urs et amies. Vous chercherez à vous abriter du froid, mais vous découvrirez que le monde entier a gelé et, plongées dans le désespoir, vous apprendrez ce que c’est que de réclamer de mourir.
Il marqua une pause et laissa ses propos flotter dans l’air.
— Voilà votre destin, provoqué par nulle autre que la déesse que vous protégez maintenant.
Les cinq nymphes se regardèrent, le visage déformé par une toute nouvelle peur. C’était ce qu’il cherchait ; l’aveu que ce qu’il disait se produisait déjà.
— Je vais le faire, dit Hercyna.
— Non ! ripostèrent les quatre autres.
— Nous le ferons ensemble, dit Cyané en regardant ses amies puis Hadès, les yeux brillants de colère. Même si ce n’est que pour lui dire que tu la cherches.
— Je présume qu’elle le sait déjà, répondit-il. J’attendrai.
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